750 grammes
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chez ptipois
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1 mai 2005

Petit coup de pompe

   

C'est normal, le voyage est long et nous n'en sommes pas encore à la moitié. S'il ne faisait pas si chaud, j'aurais peut-être meilleur moral. Mais c'est le plein été ici, et la veille de notre arrivée a été qualifiée de "jour le plus chaud de l'histoire de Bangkok" (eh bé !). J'enregistre une petite baisse de tonus psychique. Chaque sortie, de nuit ou de jour (peut-être davantage de nuit) me fait l'effet d'entrer dans un four. Pendant que j'admirais le marché hier matin, je ne me suis pas rendu compte que je servais de petit dèj' à quelques moustiques. Il y a autre chose. Le photographe et moi, nous n'avons pas réussi à prendre une photo de plat hier après-midi. Mauvais choix d'assiette, électricité dans l'air, il y a des jours où on ne trouve pas la solution. Pourtant j'avais rapporté de bien belles choses du marché. Mais bon, quand ça ne vient pas, ça ne vient pas.

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Je sais qu'il suffit de mettre ce genre de désagrément sous son oreiller et d'attendre que les dieux se remettent à sourire, mais ça déprimait aussi le photographe et donc moi encore plus. Aussi, chef J. et son assistant T. sont arrivés avant-hier soir, et cela produit une certaine tension pour la seule raison, je crois, que le cercle très fonctionnel formé par le photographe, chef P. (le chef du restaurant) et le sous-chef N. s'en trouve modifié, brisant une espèce d'harmonie. Bon, ça ira mieux demain, je suis fatiguée.

Hier soir chef J. et T. nous ont emmenés au sommet de la State Tower, où le bar en plein air, sur une plate-forme, est déconseillé aux sujets au vertige. Du parapet (une simple vitre) on découvre l'étendue immense de Bangkok. Le gratin local et importé s'y bouscule, on entend parler américain, allemand, japonais, français, thaï, la jeunesse dorée et l'âge mûr moins doré s'abordent en un body-body mondain et haut perché. En général ce genre d'ambiance m'horripile. Du sommet aménagé en lounge bar, on descend vers la plate-forme par un escalier monumental. Puis on se retourne et on découvre un abominable dôme kitsch soutenu par des colonnes ioniques et illuminé de puissants projecteurs. Un sourire de chat du Cheshire qui aurait le râtelier de Donald Trump flotte dans les cieux au-dessus de la scène. Plus goût de chiotte tu meurs. Je crois qu'il fut un temps où le chic n'était pas vulgaire. De nos jours, les deux sont quasi synonymes. La classe, du moins c'est ce que je crois fermement, se trouve beaucoup plus bas. C'est ainsi que l'Asie exprime sa prospérité : dans certaines villes, les sommets de gratte-ciel sont tous plus absurdes les uns que les autres. Depuis que Philip Johnson a osé coiffer son AT&T building d'une corniche Chippendale dans les années 80, certains ont compris la leçon de travers et le résultat fait de la peine. Ici encore, cela reste modéré. Mais attendez qu'on soit à Shanghai pour qu'on en reparle.
Pour corser tout ça, il y a un orchestre de jazz pour Américains et une chanteuse du même métal, ce qui me hérisse toujours. La laideur atteint son comble. Je cherche à échapper à mon environnement immédiat en promenant le regard tout autour et le spectacle de la ville illimitée me fait tourner la tête. Il fait tellement chaud, même en altitude, que mon Pepsi, pourtant avec glaçons, tiédit à grande vitesse. C'est un instant étouffant, pénible, intensément bizarre et cauchemardesque. Au secours, je veux rentrer !

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De retour à l'hôtel, j'allume la télé pour la première fois depuis mon arrivée. Je zappe sur TV5 et je tombe sur Le Bonheur d'Agnès Varda, que je n'avais jamais vu. Je suis scotchée, presque hallucinée. Des 2CV bleues, des 404 jaunes, des robes à fleurs, des jardins de banlieue, Jean-Claude Drouot période Thierry La Fronde et un romantisme parfaitement français, à la fois cruel et gracieux, simple et subtil. Je pense irrésistiblement aux Parapluies et aux Demoiselles (un de mes films préférés), l'affinité Demy-Varda se fait évidente. Pour moi, Demy (et ici Varda) sont un soufflet permanent à la misogynie et à la superficialité de Truffaut (dont je ne prise guère les films, à part La Peau douce). Quel plongeon au cœur de l'âme française ! On ne pouvait pas m'évoquer plus puissamment la mère patrie. Ce film n'aurait jamais pu être tourné ailleurs qu'en France, il représente une sorte de quintessence de notre culture, dans ses moindres aspects visuels et scénaristiques. Donc, petit pincement au cœur, pour la nostalgie du pays (eh oui) mais aussi pour cette espèce de paradis perdu qu'était le romantisme amoureux français des années 50 et 60, si sensuel mais aussi délicat et tendre. Un gros dodo pour passer à autre chose.

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