Bangkok belly
Même sans être diplômé d'Oxford, vous devinez ce que c'est. Hier
nous avions un programme chargé : prendre le bateau-bus pour Tha Tien,
se faire masser au Wat Pho, puis faire un petit tour au marché de Pak
Khlong afin d'y trouver quelques végétaux. Mais au beau milieu de mon
massage one hour with herbs, sous les petits doigts puissants
d'une des charmantes sylphides masseuses, je sens qu'il se passe
quelque chose. J'ouvre les yeux, décontenancée, vers le splendide
plafond jaune et les nombreux ventilateurs. Pourvu que je tienne
jusqu'à la fin du massage... Je cherche le coupable dans ma mémoire :
le repas dans l'avion, hier, qui m'avait semblé légèrement douteux ? La
salade de papaye verte (som tam) d'hier, furieusement accommodée avec trois chilis verts, ce qui était un moyen un peu brutal d'atterrir en Thaïlande ? Le phad thai
pas folichon de tout à l'heure ? — ça m'apprendra à entrer dans les
petits bistrots chics à l'air clean pour Américaines, j'aurais mieux
fait de m'asseoir à une table en plastoc branlante sur trois pavés de
trottoir, comme tout le monde. Le photographe, qui a eu la même
expérience un peu plus tôt, affirme qu'il faut incriminer les petits
piments verts "crottes-de-souris", ceux qui donnent un exquis goût à
tout, comme le dit mon ami Éric. Je ne suis pas de cet avis. Je les
consomme couramment, même à Paris, et rien de tel ne m'arrive jamais.
Toujours est-il qu'il faut prendre une décision, et vite. Nous
remettons Pak Khlong au lendemain, le photographe se rappelle même
qu'il a des lumières de fin d'après-midi à choper au restaurant
panoramique, et hop, nous voilà dans un taxi en route vers l'hôtel.
Eh
bien, grosse erreur : il ne faut jamais prendre un véhicule à proximité
d'un site touristique. Surtout s'il est à l'arrêt. En général, qu'il
s'agisse d'un tuk-tuk (triporteur) ou d'un taxi-meter, le phaéton est up to no good.
Il faut faire quelques pas et arrêter un taxi en marche. Au bout d'un
kilomètre environ, je m'aperçois que le chauffeur n'a pas mis le
compteur. Je le lui fais remarquer.
— No meter?
— No, no meter, me répond-il sur l'air de "si ça ne vous plaît pas, allez vous faire voir".
Voilà
qui n'est ni courtois ni commerçant. Ne jamais s'énerver, d'ailleurs
avec les tripes qui font des nœuds marins, je n'ai aucune envie de
m'énerver. Tout doucement je lui fais remarquer : No meter, no good.
Furieux,
notre cocher marmonne entre ses dents des choses que, je le devine, le
petit bouddha doré assis derrière son pare-brise ne serait pas très
content d'entendre ; heureusement pour lui, il est dans une boule de
verre, donc il doit être sourd à ces invectives. Par gestes, le
chauffeur nous fait comprendre qu'il est sur le point de nous jeter
dehors. Et pourquoi pas ? Il nous a pris pour des Américains (le Canon
du photographe n'est d'ailleurs pas fait pour nous éviter ce genre de
mésaventure), il ne s'attendait pas que nous lui fassions remarquer son
arnaque, il a donc perdu la face et l'histoire ne peut pas se terminer
autrement. J'envisage de redoubler de douceur et je pense même lui
faire un wai (salut mains jointes, signe de respect et de
gratitude) mais je m'abstiens, il ne faut pas jouer avec ça, même avec
un voyou. Bien entendu, il a pris soin de nous jeter à une entrée de
marché, à un carrefour des plus congestionnés. Silencieusement, je
supplie mes tripes de se calmer encore une demi-heure, durée à laquelle
j'estime notre retour, tenant compte des feux rouges qui durent cinq
minutes et des aléas divers. Un chauffeur de tuk-tuk nous
fait signe. Il a une bonne bouille. Je lui donne le nom de notre hôtel
et lui demande le prix. Je trouve ça un peu cher. Je marchande (si mes
boyaux se fâchent vraiment, je ne l'aurai pas volé). Il me répond que
l'hôtel est loin et que c'est l'heure de pointe. Cela me paraît tout à
fait raisonnable, nous lui disons que nous allons prendre un taxi. Le
premier qui s'arrête met son compteur, nous sommes sauvés. Après un
retour à l'hôtel sans problème et les soins appropriés, je récupère au
moyen de trois heures de sommeil. Ensuite, c'est riz et banane pour le
dîner.
Ce matin, je me soigne à grandes lampées du délicat shincha (thé de nouvelle récolte) rapporté du Japon.
Un bol de riz cuit, quelques gouttes de sauce de poisson et de sauce d'huître, et en deux minutes c'est prêt. Arawy ! C'est très bon.