Vingt-quatre heures entre terre, ciel et margarine
Ça commence à Roissy 2, dans la panade comme il se doit. À peine passé les portes de Paris, le brouillard est tombé d'un coup sec, comme une cloche sur des fromages mûrs, et en quelques minutes on n'y voit pas à dix mètres. C'est dans ces circonstances joyeuses que plusieurs avions sont retardés et c'est aussi là que je découvre que les espaces d'attente aux portes d'embarquement ne contiennent pas assez de fauteuils pour asseoir tout le monde. L'avion de midi partira à 14 heures, ce qui est juste suffisant pour rater ma correspondance pour Guangzhou à Helsinki. Un timing au petit poil.
Comme il commence à faire faim (je suis arrivée à 9 heures sans petit dèj pour des raisons administratives dont je vous ferai grâce, mais sur lesquelles je me bornerai à dire que plus jamais, non, plus jamais les réservations de billet d'avion sur voyages.sncf.com), j'admire ces messieurs indiens qui se sont apporté leur tiffin et pique-niquent avec grâce en zone d'embarquement : des rotis bien croustillants sont posés sur des feuilles de papier et tartinés d'appétissants chutneys sortis de tout petits tupperware blancs. Et moi, je pousse un gros soupir en mordant dans un triste et caoutchouteux mini-sandwich acheté à un stand à un nom italien dispensateur de café dégueulasse (vive la France pour bien des choses, mais certainement pas pour le café).
Aéroport d'Helsinki. Derrière les comptoirs, regards bleus et placides, voire indifférents. Oui, oui, pas de souci, l'avion est bien parti. Ah ! sans vous ? Bon, alors voici un bon de 17 euros pour les restaurants. La compagnie cette fois ne juge pas utile de me faire dormir sur place pour repartir sur l'avion du lendemain. C'est pourquoi je vais me taper Helsinki-Beijing, puis Beijing-Guangzhou, sans garantie de ne pas rater une seconde fois la correspondance (oui, car le vol Helsinki-Beijing est en retard aussi, sinon ça serait pas drôle). Je profite de cette parenthèse finnoise pour acheter des chaussettes Marimekko et résister à la tentation d'acheter tout le magasin avec.
Je précise que les repas sur Finnair sont catastrophiques et que la seule odeur des plateaux suffit à me retourner l'estomac pendant les six heures de vol. Dans la petite capsule jaune, c'est de la margarine, pas du beurre. L'ordinaire d'Air China sera un poil au-dessus mais juste un poil. Dans les deux cas, on se demande toujours un peu de quoi est fait ce qu'on mange. Et pas moyen de fermer l'œil, comme c'est souvent le cas en avion. Plus jamais, non plus jamais Finnair avec escale. Pourtant, depuis la dernière fois (Bangkok en janvier 2006), je devrais le savoir.
Je découvre dans un état de semi-hallucination le nouvel aéroport de Beijing. J'ai l'impression qu'en Chine, chaque fois qu'on rajoute un aéroport, on essaie toujours de faire plus grand que les précédents.
Curieusement, c'est juste au moment où l'on pose le pied en Asie que les choses commencent à fonctionner correctement. J'ai l'habitude. Parmi les nombreuses définitions de l'Asie, voici une de celles qui me paraissent les meilleures : l'endroit où l'on se rend compte qu'il y a un sérieux problème avec l'Europe. La galère prend vraiment fin à Guangzhou, devant ce qui attablit (rappel : j'ai breveté ce néologisme) à Niu Niu, notre restaurant de quartier (où l'on vient de toute la ville), dans la fraîcheur du soir (le jour, il fait très chaud) : légumes sautés dont beaucoup de gousses d'ail entières, poisson entier vapeur aux ciboules et aux cacahuètes, poulet croustillant, soupe aux boulettes de poisson et au melon d'hiver, rotis à la banane bien beurrés. C'est au moment où nous rinçons nos bols et nos baguettes dans le thé bouillant que je suis certaine d'avoir enfin atterri et que je goûte, enfin, le bonheur d'être en Chine du Sud.