Confiture d'abricots vanillée au citron
"Et un kilo d'abricots.
— Ah non, je ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Je ne peux pas vous les vendre, ils sont trop moches."
J'aime mon marchand de fruits.
C'est un épicier de quartier comme il y en a des centaines dans Paris, mais lui, c'est pas pareil. C'est un fou des fruits. Comme moi. Nous nous recevons 5 sur 5 à ce sujet. Spécimen assez rare pour être mentionné, il préférerait se faire laminer par tous les camping-cars descendant l'autoroute du Soleil un 31 juillet plutôt que de me vendre un seul fruit qui ne soit pas le top de sa catégorie. Bien sûr, ça a un prix. Mais mon marchand de fruits va à Rungis trois fois par semaine et il a ses adresses. C'est exactement dans cet ordre d'idées qu'avant-hier, il a refusé de me vendre un kilo d'abricots. Et pourtant, il en restait trois kilos.
"Mais vous allez bien en faire quelque chose, vous allez pas les laisser perdre !"
Il soupire, l'œil perdu dans l'immeuble d'en face (on a l'horizon qu'on peut).
"Je vais faire des confitures ! Faites-moi un prix !"
L'œil se rallume.
Pour la peine, je lui prends un kilo de pêches plates (elles sont belles cette année) et je repars bien lestée de trois kilos d'abricots qui ne m'ont coûté que deux euros. Je loue le perfectionnisme de mon marchand de fruits : ces abricots sont certes en fin de saison, certes un peu moumous, certains sont au bord du farineux, mais ils sont tout de même encore assez corrects à côté de ce que d'autres que lui n'auraient pas hésité à me vendre au prix fort. Ce sont des bergerons, très doux, certains sont mangeables tels quels. Le reste, comme je l'ai dit, ira en confiture.
Comme je devine sous cette peau veloutée, un peu fatiguée, une saveur exquise qui ne demande qu'à se réveiller au contact du sucre et de la chaleur, je décide de bien les soigner, ceux-là. Pas question de faire une confiture à la va-vite et au Vitpris. On va employer les grands moyens et la basse température. Et un ou deux tours de main de derrière les fagots.
Il est bien entendu, et vous ne devez pas en douter une seconde, que si cette confiture d'abricots n'était pas (à ma grande surprise vu la simplicité des moyens employés) la meilleure que j'aie jamais goûtée, je ne me serais pas embêtée à vous en faire un post de blog en plus du travail de confiturage et d'empotage. Considérez-vous comme gâtés, et suivez scrupuleusement mes conseils, le succès est à ce prix.
Rapidement, je rince et égoutte mes abricots. En tout, un peu plus de deux kilos. Je les dénoyaute sans trop les ouvrir, et je recueille les noyaux dans un bol. Les abricots vont directement dans ma bassine en émail.
Dans mon mortier krok thaïlandais en granit vert, à l'aide du pilon (saak), je casse un à un les noyaux, j'extrais l'amande et je la mets de côté. Quand j'ai toutes les amandes, je les concasse légèrement dans le mortier. Je les ajoute dans la bassine.
Je hache en morceaux de 5 mm environ deux gousses de vanille de Madagascar, et hop dans la bassine.
Par-dessus tout ça, 1,5 kg de sucre (sachant que j'ai 1,8 kg d'abricots dénoyautés). Et repos pendant une nuit, à température ambiante : le jus des abricots fait lentement fondre le sucre et amorce un début de confisage à froid. Cette mesure aidera les oreillons d'abricots à rester entiers à la cuisson.
Le lendemain, je prélève à l'économe le zeste d'un gros citron de Sicile (ou d'Italie, ou de Menton, mais surtout pas de citron d'Espagne). Je le taille en julienne au couteau et je le mets dans une petite casserole. Je presse le citron, je verse le jus dans la casserole et j'ajoute un peu d'eau pour couvrir. Je fais cuire le tout à petite ébullition jusqu'à ce que les zestes soient mous. Cette infusion de citron va rejoindre les abricots.
Je fais chauffer en remuant doucement pour faire fondre le sucre. À ébullition, je baisse le feu au plus doux et je laisse cuire plusieurs heures, à petit frémissement, jusqu'à ce que j'obtienne une grande quantité de sirop épais, d'un orangé profond, et des oreillons d'abricot confits et tendres mais encore entiers. Un parfum indescriptible d'abricot, de vanille naturelle et de citron confit envahit l'appartement.
Lorsque le sirop commence à épaissir, j'ajoute en un voile léger, surtout sans grumeaux, une bonne cuillerée à café d'agar-agar en poudre. Sur feu plus vif, je fais bouillotter le tout pendant 2 minutes sans cesser de tourner avec une spatule en bois. Mise en bocaux (stérilisés au four) immédiate, à ras bord, pose du couvercle à chaud, retournement des pots, on laisse tiédir et on les remet debout.
Si vous vous interrogez sur le rôle de l'agar-agar, je précise qu'il y en a juste assez pour "fixer" le sirop mais pas assez pour gélifier vraiment la confiture. Celle-ci garde un peu de sa fluidité tout en ayant de la tenue. Cet ajout, qui survient avant le point de cuisson optimal de la confiture, permet de conserver une fraîcheur de goût et d'éviter un début de caramélisation. Si vous n'optez pas pour le truc des pots retournés afin de stériliser les bocaux, couvrez la confiture "au contact" d'un rond de papier découpé trempé dans un alcool quelconque, rhum, grappa, whisky, ou — pourquoi pas puisqu'il s'agit d'abricot — un peu de barackpalinka hongrois.