Naviguer en Auvergne (1)
Or donc, dans la catégorie "coups de main interblogs et pérégrinations gastronomiques", nous partîmes donc le 3 juin dernier sur les routes d'Auvergne pour le compte d'un guide des restaurants. Nous = Memapa (qui a annoncé l'escapade sur son blog) et moi. Nous avons rencontré pas mal de gens et pas mal de vaches, quelques moutons et même deux ou trois ânes, un certain nombre de chevaux à roulettes, mais pas de Terribles Vialattes. Bien qu'à certains moments, devant la désertitude de certains grands espaces et la densitude de certaines forêts, nous nous soyons remémoré la phrase immortelle de l'écrivain auvergnat : "Le loup est ainsi nommé à cause de ses grandes dents."
Première étape, qui nous voit sauter avec allégresse du train Corail et prendre possession de la Pijo de location : Clermont-Ferrand aux noirs murs. Un retard ferroviaire envoie dinguer dans le décor mon premier projet, qui était d'aller regoûter la cuisine de l'Hôtel de la Poste à Saint-Sauves. Nous en serons quittes pour un curry tamoul (très bien, avec des frites) juste en face de la gare avant de souquer vers le Cantal.
Ci-dessus : cathédrale de Clermont, l'autel de la Vierge vu à travers la porte.
Il pleut. Des camions nous vaporisent de fraîches gouttelettes en nous doublant, les brutes épaisses. Il repleut. Passé Saint-Flour, passé la planèze, nous jetons l'ancre à Saint-Urcize, notre première étape, à la pointe Sud du Cantal. La pluie a cessé, des lambeaux de nuées s'accrochent aux arbres.
Déléguée au copilotage, j'étudie la carte indéchirable achetée à la boutique Michelin, place de la Cathédrale à Clermont. De village en village, nous rêvons sur certains noms de saints. Le fait que des gens aient pu s'appeler (et pourquoi pas, s'appellent encore) Nectaire, Austremoine, Yrieix, Urcize, Illide, voire Flour, nous épate.
Étape 1 : Saint-Urcize (Aubrac)
C'est sous ce ciel d'orage que nous découvrons Saint-Urcize. Une lumière que j'ai déjà vue en Aubrac, et qui fait scintiller la pierre grise et les écailles reptiliennes des lauzes de schiste. Le tout répercuté par un ciel couleur taupe et pourtant luminescent. Le village n'est pas très animé. Il n'est même pas animé du tout. Il fait froid. La nature, qui ailleurs est en juin, est ici encore en avril.
Autour du petit saucisson très sec que j'ai acheté chez ce boucher (juste à côté de notre hôtel-restaurant + café-tabac-journaux + manufacture de mouches de pêche), un papier sulfurisé bien serré. Il est imprimé d'une image représentant une vache qui pleure et une petite fille qui lui dit : "Pleure pas, grosse bête, tu vas chez (suit le nom du boucher)."
L'hôtel-restaurant porte le nom de son propriétaire, mais nous avons oublié son prénom, qui nous a été communiqué oralement. Je cherche dans ma mémoire. Memapa suggère : "Urcize ?"
Je pars faire un tour de village pour me mettre en appétit. Chaque perspective que je découvre est une carte postale potentielle. Je me dis que l'Auvergne a toujours été une région trop facile pour les fabricants de cartes postales.
Cette petite sirène orne une fenêtre Renaissance, place de la Mairie. Elle porte un peigne pour ses longs cheveux ; et ses écailles, ainsi que ses nageoires caudales, sont amoureusement ciselées. (Ça me paraît normal : si j'étais un monsieur amoureux d'une sirène, je serais particulièrement attentif à la grâce de ses nageoires caudales.) On devine encore ses joues pleines mais, dommage, son visage, qui devait être charmant, a été martelé.
Ces nains de jardin se préparent à une partie de foot mais ces petits crétins ont chacun un ballon. Cela doit être pour ça que la partie ne commence jamais et que le lapin détourne le regard afin de cacher une nuance de mépris.
Tout est très calme…
Ce soir, à l'auberge, il y aura une soupe poireaux-pommes de terre parfaite avec des croûtons tout chauds, une côte de veau (et quel veau ! On est bien en Aubrac…) à la crème accompagnée des premières petites girolles (pas plus d'un centimètre de diamètre), et une truffade (ratio fromage-pomme de terre au désavantage de la seconde). Le tout suivi d'un millard aux cerises bien fondant et croquant de sucre, et arrosé d'un excellent marcillac rouge. En outre — certains diront que c'est un petit plaisir mais je suis d'avis qu'il n'existe pas de petit plaisir —, c'est un soulagement de boire de l'eau au robinet meilleure que de l'eau en bouteille. C'est l'Auvergne.