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25 mai 2005

Quitter le Huangpu (et d'autres choses)

   

C’est à dessein (à cause de son titre) que je place ici un détail d’une peinture Ming exposée au musée de Shanghai. Elle m’a émue avant-hier quand je l’ai revue ; elle m’émeut encore plus aujourd’hui, parce j’ai fait mes adieux à cette ville, et ce sont des adieux plus attristants que je ne m'y attendais. Je suis de nouveau à Paris, et avant de m’écrouler pour sacrifier au rituel de la grosse sieste de jetlag (celle dont on se réveille complètement ensuqué), je tâche de mettre à jour ce blog à partir d’éléments préparés ces jours derniers. Entre-temps, nous avons bossé comme des ânes, eu à gérer quelques conflits, et par-dessus le marché quelque chose d'inattendu et de bouleversant m'a transformée (je suis tombée amoureuse d'un Shanghaïen ; mais je préfère ne pas en parler, ni même d'ailleurs y penser) ; vous voyez : tout cela occupe.

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Dai Jin, L’Adieu à Jintai. Musée de Shanghai.

J’ai plus de mélancolie à quitter Shanghai que je n’en ai eu à quitter Tokyo, Bangkok et Singapour — cela malgré l’abondance d’amour et de gentillesse dont nous avons été inondés partout ailleurs. C’est que Shanghai est attachante. Elle est d’un abord âpre, dur, exigeant. Il n’est pas facile de prime abord d’accepter la pollution, la puanteur, la crasse, la poussière, le bruit et le sentiment de bordel généralisé. Mais on aime cette ville presque malgré soi, par un lien magique et mystérieux. Donc, bien que les plus grosses difficultés liées à notre projet se soient manifestées à Shanghai, j’éprouve de la peine à partir.

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Cette ruelle de marché ne dira pas grand-chose à la plupart des gens. Elle n’est pas belle, elle est crasseuse et désordonnée. Mais ceux qui sont déjà venus ici soupireront, et je suis certaine qu’ils soupireront de nostalgie. Ils se souviendront de l’odeur, des bruits, et ils se demanderont : quand reverrai-je de nouveau ceci ?

Il y a aussi les Chinois, qui sont parmi les gens les plus émouvants du monde. Je ne saurais expliquer pourquoi. Parce qu’ils sont directs, simples, pleins de vitalité ? Je ne sais pas. Mais je sais quelle lumière ont leurs sourires, quelle noblesse ont leurs visages, quelle chaleur vous pénètre immédiatement quand un contact s’établit, malgré la barrière des langues. La première fois que je suis venue ici, j’ai médité sur cette découverte que je venais de faire. Et un jeune Français que j’ai rencontré un peu plus tard, établi à Shanghai depuis six mois, a employé ce même mot (« émouvants », « touchants ») pour décrire les Chinois. Je n’avais donc pas rêvé. Ils sont beaux, aussi. On croise des plantes humaines, hommes ou femmes, d’un charme bouleversant. À cause de sa dureté et des défis qu’elle lance, à cause de la nature particulière des obstacles qu’elle oblige à vaincre pour trouver notre point de paix intérieure, à cause aussi des êtres – anonymes ou plus proches – qu’elle met sur notre chemin, Shanghai est une occasion idéale pour tester notre capacité d’amour, en même temps que notre résistance à l’inattendu, à la difficulté, au chaos.
Il est difficile de quitter cela. Cette vue sur Pudong à partir du Bund, à toute heure de la journée mais surtout le soir, attire toujours comme un aimant. On ne se lasse jamais de ceci.

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Et de cela non plus.

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Le matin de l’avant-dernier jour, nous avons fait une petite sortie au marché en compagnie du chef J., que l'on voit ici en pleine leçon de nouilles.

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Après cette promenade, j’ai quitté le groupe et je suis allée faire mes derniers achats. Un peu de jade et d’amétrine, quelques perles d’eau douce, des peignes en buis et en palissandre, du ginseng de la région et des baies rouges appelées gouji (il s'agit de lyciet de Barbarie, wolfberry en anglais) pour améliorer la vision (en particulier celle des gens qui passent du temps sur leur ordi ; c’est le remède des blogueurs). J’ai bu un gobelet de thé au chrysanthème sur un étal de rue, et je suis allée déguster des xiaolongbao (raviolis shanghaïens) là où ils sont réputés.
Voici une vue de la salle de restaurant. Elle donne sur les toits de la maison de thé Huxinting. Le magnifique jardin Yuyuan n’est pas loin.

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Il y a une méthode bien spéciale pour manger les xiaolongbao ; mes voisins de table (un Japonais établi en Chine depuis longtemps et ses deux jeunes filles) m’ont mise au parfum, et je leur en ai su gré parce que ça ne s’invente pas : il faut saisir fermement le petit paquet entre ses deux baguettes par la partie supérieure, le tremper dans le vinaigre noir au gingembre, puis porter la partie inférieure à sa bouche et la percer avec les dents. On aspire ensuite le jus contenu dans le xiaolongbao avant de croquer la chose en une ou deux bouchées, selon l’humeur.

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Vous voyez ici la petite ouverture que l’on pratique dans le xiaolongbao avant de lui régler son sort. Dans la vie, il y a des choses qu’il faut savoir manger avec élégance : entre autres les ortolans, la salade frisée, les nouilles japonaises, les mangues bien mûres et les xiaolongbao.
Je me suis rendue ensuite au temple du Bouddha de jade afin d’adresser, à travers les déités du lieu, mes salutations à la ville et à la Chine en général. Visite touchante, déjà nostalgique. Le plus petit des deux bouddhas en pierre birmans conservés dans ce temple est en position couchée. Son expression est la plus charmante du monde et son attitude a quelque chose de séducteur. Elle évoque davantage les vacances à la plage que le frisson divin. Ce sourire est le même que celui de son grand frère, visible à l’étage supérieur : une bienveillance absolue, enjouée, un peu moqueuse.

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J’ai admiré le pied de ce bonsai, parfaite image de l’interpénétration du yin et du yang.

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Le temple est accueillant, animé, avec par endroits des allures de bazar. Ces deux vendeuses contemplent attentivement, derrière leurs éventails souvenirs, la sortie d’un service bouddhique.

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Et je conclus sur ce zhong de porcelaine posé sur un chaudron votif dans une chapelle : il me fait l’effet d’une lampe d’Aladin pleine de merveilles sans nombre.

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Et le soir de ce 23 mai, devinez quel jour on était. Chef A. avait pensé à moi au restaurant. J’avais dit « émouvants », vous vous souvenez ?

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La Chine et le ciel ont toujours entretenu des relations privilégiées. Ce pays laisse une trace indélébile. Peut-être, désormais, chaque fois que je regarderai le ciel, y retrouverai-je la Chine.

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