750 grammes
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13 mai 2005

Was there really a tiger?

   
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La boîte d'allumettes du Raffles Hotel.

Y avait-il réellement un tigre sous le billard ? Est-ce que je rêve depuis deux jours ?
Je sais bien que je vous fais baver d'envie avec mes récits de balades asiatiques (je m'en excuse) et les denrées exceptionnelles que j'ai la chance de déguster, mais, sans vouloir montrer d'ingratitude envers ma chance, c'est tout de même un récit, quoique véridique. Tout paraît plus beau à travers l'écriture. Seulement voilà, honnêtement, ce n'est pas toujours rose. Je vous passerai des détails inutiles (et qui ne concernent que moi) sur les luttes que j'ai dû mener pour imposer ce projet et le protéger des prédateurs. Sur quelques cobras que j'ai dû avaler. Ensuite sur mes efforts infructueux pour limiter les fatigues du voyage. Le voyage était une chose, mais l'errance en était une autre, je parle d'errance intérieure, et je m'en serais bien passée. Mais en arrivant ici, à Singapour, tout s'est mis en place : jusqu'alors je séchais, je manquais d'inspiration, je ne savais par quel bout prendre la matière de mon travail. L'ordre sous-jacent de toute cette aventure m'échappait ; j'en avais trop bavé pendant les mois qui avaient précédé le départ et j'avais un peu perdu la foi. En plus, le thème que j'avais imaginé pour le projet n'existait que dans mon imagination ; chemin faisant, peu à peu, je m'en rendais compte, et mon imagination — seul recours en telle circonstance — refusait de se mettre au boulot. À travers la fascination du voyage, une amertume restait constante, quoique discrète. Il manquait quelque chose, non pas tant à mon confort qu'à mon entendement. Jusqu'au jour où nous avons quitté Bangkok, le matin du 11 mai.
Au petit matin, je m'éveille avec un début de migraine et j'avale quelques cachets en espérant qu'elle aura disparu au moment de partir. Mais au moment où nous quittons l'hôtel, elle a redoublé. Je comprends vite que j'ai affaire à la pire crise depuis des mois, le genre de migraine qui frappe en moyenne une ou deux fois par an. Et il faut prendre l'avion ! Heureusement, ce n'est qu'un vol de deux heures. Ceux qui ignorent ce qu'est une migraine ne connaissent pas leur bonheur. À l'aéroport de Bangkok, je crains de tomber à chaque pas, la tête me tourne, l'estomac me vrille, le foie hurle à la mort, bref : please let me die. Je tends ma carte d'embarquement dans un état second, je boucle ma ceinture la mort dans l'âme, je ne touche pas une miette de mon déjeuner, un orchestre de gamelang javanais se déchaîne dans mon crâne, je regrette de n'avoir pas écrit mon testament et je perds connaissance au bout d'une demi-heure. Un choc violent m'éveille en sursaut : le 747 atterrit à Singapour, mais je sais que mon calvaire n'est pas terminé. Ce genre de crise ne s'estompe ordinairement qu'au coucher du soleil.
Je ne sais pas trop comment j'ai traversé le contrôle des passeports et le baggage claim, mais je me souviens d'un jardinier vaporisant de l'eau sur une profusion d'orchidées à l'aéroport et d'un vaste parking ombragé de grands arbres en forme de parasol. Je tombe plus que je n'entre dans une limousine à sièges de cuir, à côté de notre siège sont posées une petite bouteille d'Évian glacée et une serviette froide parfumée au jasmin. Ces deux objets me sauvent la vie et me redonnent un soupçon de conscience. Je ne sais pas trop non plus comment j'ai trouvé la force de répondre au chauffeur qui, tout en nous amenant au Raffles, nous commente dans les moindres détails ce que nous découvrons par la fenêtre. Je sais seulement que j'ai retenu la moindre de ses paroles. Le véhicule s'arrête devant une magnifique façade blanche à colonnades ; un géant indien en livrée et en turban me tend la main, et je me dis que je suis au paradis et que je ne voyais pas tout à fait les anges comme ça. Éberluée, je découvre le magnifique lobby du Raffles. Une partie du personnel et le manager nous accueillent, nous tendent leurs cartes. Je n'ai pas la force de chercher la mienne, je crois à peine à ce que je vois. Masse blanche déferlant à tribord : trois chefs en grande tenue, rien n'y manque, et surtout pas la toque. Mes yeux se posent sur leurs noms brodés en rouge sur leur sein gauche, mais les lettres dansent et je ne peux rien lire. Deux d'entre eux parlent français, le plus grand a des fjords dans les yeux et un accent suédois. Je salue, je remercie, je rends grâces, et c'est à peu près le maximum que mes forces me permettent de faire. Je balbutie que je suis malade et que je dois me reposer. On m'amène à ma chambre sans perdre une seconde et on me fait porter des cachets antidouleur. J'ai juste le temps de me rendre compte que la chambre est une suite coloniale de style anglais et que le lit est d'un confort paradisiaque, qu'un ventilateur au plafond distribue un air frais et doux, et je tombe à plat dans le duvet pour ne me réveiller que deux heures plus tard, ressuscitée.
Luxe, calme et volupté. Et surtout sourire, courtoisie, civilisation. Une énergie incroyable se dégage de ce bâtiment et des personnes qui y travaillent. L'ambiance en cuisine est fabuleuse, pour la première fois je vois une équipe manifestement heureuse d'exister, un travail en commun qui donne de la joie à tout le monde. Alors que jusqu'à présent nous avions surnagé dans une espèce d'indéfini auquel nous avions fini par nous habituer, ici nous sommes encadrés, compris, entendus, soignés et chouchoutés. Tout s'organise simplement, sans flottement. Une première réunion avec les cuisiniers et l'assistant manager décide de notre programme en dix minutes, aucun détail n'est laissé de côté, nous nous sentons délivrés de tout souci. Nous reconnaissons que nous avons de la chance, mais ce répit d'une semaine au paradis est clairement un don des dieux, pas forcément immérité compte tenu des obstacles que j'ai dû surmonter. Il ne fait pas que restaurer notre corps : il remet mon esprit en ordre. Il donne une cohérence à ce qui n'en avait pas, il me fait soudain découvrir la logique de toute mon entreprise. L'intelligence que je vois à l'œuvre partout ici, dans les jardins, la déco, le management, la cuisine — non seulement l'intelligence mais aussi la bonne intelligence, si la nuance est assez éloquente — vient réveiller mes capacités intellectuelles qui s'étaient mises en vacances. Vous voyez donc qu'il m'a fallu revenir de loin pour pouvoir de nouveau alimenter ce blog.
J'ai dû également surmonter de nouveaux obstacles photographiques, par exemple cette fois c'est le lecteur de memory stick qui est mort. Encore souffrante, j'y ai enfoncé une carte à l'envers. On ne fait pas plus bête.

My first Sony
Mais il y a autre chose. Devant les signes de faiblesse répétés de mon petit Konica Revio (deux ans de bons et loyaux services tout de même), j'ai profité des prix avantageux du matériel photo à Singapour pour céder à la tentation d'un Sony Cybershot dernier modèle (7 M/pixels), attirée par l'optique Carl Zeiss. Il faut toujours un peu de temps pour apprivoiser un numérique, surtout si l'on change de marque. Mais déjà j'apprécie ses qualités optiques, en particulier la sensibilité de son capteur, sa finesse d'exposition et ses blancs dégradés, les plus doux et les plus équilibrés que j'aie jamais vus chez un numérique, même reflex. En outre, pas de retard au déclenchement, et j'en ai profité pour acquérir des focales supplémentaires — grand angle et macro — que je fixe à l'objectif au moyen d'un astucieux système d'aimants. J'ai hâte de mieux connaitre mon nouveau copain.

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Une arcade du Raffles et un test du nouveau Sony Cybershot : les blancs sont parfaitement maîtrisés, sans retouche. Auparavant, les numériques avaient tendance à surexposer les zones claires.

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Commentaires
P
Cher MB,<br /> Votre dernière question mérite une réponse détaillée. Je vais donc y répondre directement dans le blog.
M
Un petit signe (le temps me manque cruellement ces derniers temps) pour dire que je continue de lire avec plaisir votre relation de périple. J'espère que votre santé ne constituera plus un obstacle à notre (et surtout votre) plaisir. L'ombre de William Somerset Maugham continue-t-elle de hanter le Raffles? <br /> Une âme aliénée par le bricolage
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