750 grammes
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chez ptipois
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29 août 2007

Tout ça pour du beurre

À la question "Quels sont les secrets de la bonne cuisine ?" Escoffier répondait : "Il y en a trois : du beurre, du beurre et du beurre." Et aujourd'hui notre reportage portera sur l'essence des secrets de cuisine. Nous allons travailler pour du beurre.

01_beurre

Foin des étals de la Grande Épicerie du Pas Bon Marché, des beurres médiatiques qui font trop souvent oublier que d'autres produits remarquables, plus modestes, existent. Pour moi (Normande à qui on ne raconte pas n'importe quoi en matière de beurre) le beurre étalon, le beurre fondamental se trouvait en grande surface, dans quelques localités du Finistère Sud. Je l'avais découvert il y a environ deux ans, dans un Champion, mais ç'aurait aussi bien pu être un Leclerc. Le produit était vendu en double emballage de papier, ce qui en disait déjà long sur le souci de préserver la saveur. Cette présentation discrète ne laissait rien deviner du trésor qu'elle renfermait. Une texture souple et aérée, d'un jaune mat naturel tirant sur le bouton d'or ; quelques grains de sel croquant sous la dent, et surtout un arôme riche, parfumé, fleuri, légèrement musqué avec des notes de brioche chaude. Un beurre de cette qualité, je n'en avais trouvé que dans une ferme fortifiée du Bessin, il y a longtemps. Heureusement l'adresse de la ferme figurait sur le papier : je me promettais donc, dès que possible, d'aller rendre visite à la GAEC de Saint-Coal pour en savoir plus.

02_long_re

L'approche n'a pas été facile : on hésite à déranger des gens dans leur travail lorsqu'ils n'y invitent pas d'emblée dans le cadre d'un quelconque "tourisme vert". Et puis de Paris, il n'est pas toujours aisé d'organiser la chose. Le produit est rare, apparemment la production est réduite, il faut donc procéder sans précipitation. Un chef parisien, à qui j'ai signalé l'existence de ce beurre, n'a pas réussi à s'en faire expédier. Et puis un jour de ce mois d'août, au téléphone, le feu vert est donné. Et nous voilà parties pour Guilligomarc'h.

03_laitdebeurre

Pas du lait, mais du "lait de beurre", résultant du barattage de la crème. Du babeurre, autrement dit.
À ne pas confondre avec le lait ribot.

L'exploitation agricole de Saint-Coal se trouve, comme écrirait Fulbert-Dumonteil, "nichée dans un écrin de verdure". Toute simplette qu'elle soit, l'expression s'impose. C'est parce que ce paysage vert, gras, touffu, vallonné, magnifique, donne l'impression de remonter dans le temps. Bocages intacts, isolement relatif, paix royale. Cela, déjà, explique la qualité du beurre. La ferme est entourée d'une surface de terrain considérable, en champs cultivés (céréales) et en pâture. Soixante-dix vaches Prim'Holstein broutent, dans une totale absence de stress, une herbe drue, hypervitaminée, couleur émeraude. L'hiver, elles dégustent le foin recueilli en grande quantité sur les terrains de la ferme ou les céréales cultivées de même. Rien n'est acheté. L'autosuffisance est presque complète. Le contrôle total de la qualité, qui passe évidemment par l'alimentation, est à ce prix.

04_baratte

Après écrémage et maturation de la crème, celle-ci passe en baratte. Dans cette baratte, le produit d'une traite (on ne mélange jamais les crèmes de plusieurs traites) : quarante-quatre kilos de beurre, lentement malaxé par les pales mais aussi à la main. Ce beurre a déjà subi un premier salage et se trouve actuellement en phase d'essorage.

05_baratte

06_baratte

07_baratte

08_baratte

L'eau qui s'écoule par la bonde de la baratte a la couleur du gros sel gris de Guérande employé pour le salage.

09_salage

Une poignée de ce gros sel attend la seconde phase de salage.

10_salage

11_salage

Accomplie au dernier moment, quand le beurre est bien sec, elle est là "pour le croquant".

12_salage

Encore un peu de malaxage et c'est prêt.

13_seaux

Tout le contenu de la baratte est recueilli dans ces trois seaux…

14_transport

… pour être transporté en salle de conditionnement.

15_moule

Je découvre les moules traditionnels en bois dans lesquels le beurre de Saint-Coal sera façonné. On emploie deux tailles de moule, correspondant l'une au paquet de 250 g et l'autre à celui de 500 g.

16_moule

La base et le corps articulé du moule sont assemblés.

17_moule

18_moule

Le beurre est lissé au ras du moule. Un motif floral orne l'intérieur de la base en bois, qui sera détachée du moule ; lorsque la planche portant le pain de beurre sera retournée, ce motif apparaîtra en saillie.

19_moule

21_beurre

Voilà le travail !

20_empaquetage

Le conditionnement se fait à toute vitesse : il faut quelques secondes au crémier pour mouler un pain de beurre et guère plus à la fermière pour l'envelopper dans le premier papier d'emballage. Tout va si vite qu'il n'est pas facile de photographier des gestes lisibles.

21_empaquetage

Il ne faut que quelques minutes pour remplir une cagette.

22_500_g

Après avoir emballé les pains de 500 grammes, on passe aux pains de 250 grammes. Je comprends désormais pourquoi mon restaurateur parisien n'a pas réussi à se procurer ce beurre : il faut venir le chercher sur place. Ce n'est pas de la mauvaise volonté : la ferme possède un camion frigorifique de taille modeste et ne livre pas hors de la région immédiate. La vente de ses produits se fait dans les grandes surfaces de deux départements — Finistère et Morbihan — et directement à la ferme. C'est tout.

Un seul restaurateur, pour le moment, sert (et l'affiche avec fierté) le merveilleux beurre de la ferme de Saint-Coal : Loïc Le Bail, à l'hôtel Brittany de Roscoff.

23_250_g

Je voulais, à travers ce post, faire remarquer que les produits les plus exceptionnels ne sont pas forcément ceux qui ont la faveur des magazines ou du tourisme gastronomique de luxe, ceux qu'il est de bon ton de porter aux nues. Dans les campagnes, dans un quasi-secret, des merveilles s'élaborent, et si vous n'êtes pas à l'affût, si vous n'êtes pas prêt à admettre qu'un produit trouvé en supermarché et que rien de spécial ne signale à votre attention puisse relever du miracle, vous risquez fort de passer à côté du meilleur.

Je tenais aussi à vous faire partager mon admiration pour le travail remarquable des gens de Saint-Coal, pour leur amour du goût et de la qualité, le soin apporté à chaque détail. Ce qui m'a frappée aussi en découvrant cette ferme et ce domaine, c'est l'adéquation parfaite des moyens aux fins — autosuffisance alimentaire pour les vaches, surface exploitée en rapport avec le résultat désiré, pas de course au rendement, pas de fièvre de croissance, pas de délire technologique mais pas non plus de pseudo-artisanal pour touristes ni de concession au goût urbain forcément superficiel et capricieux. Un souci de rester dans un cadre modeste avec des moyens précis, cela pour préserver l'intégrité d'un produit exceptionnel. Un tel équilibre n'a pas dû être facile à atteindre, il n'est pas facile à maintenir : je salue cette réussite. Ce jour-là, je ne suis pas seulement venue voir du beurre, mais aussi recevoir une leçon de sagesse.

La ferme de Saint-Coal vend aussi d'autres produits laitiers, tous excellents : yaourts nature et aux fruits, fromage blanc lissé ou en faisselle, lait ribot, crème crue et gros lait (un lait fermenté légèrement visqueux, très rafraîchissant).

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Commentaires
F
Bonjour, je viens juste de decouvrir votre site et reportage. J'ai rencontre bcp de petits producteurs de beurre fermier dans la Manche et j'aime bien votre reportage. Je fais un memoire de master d'anthropologie sur ces petits producteurs. C'est interessant que les vaches soient des Holsteins qui ne sont pas reputees pour la proportion de Matieres Grasses dans leur lait. Je suis d'accord avec vous, en effet, c'est cette qualite qui ne fait pas la une des magazine que je trouve interessante, et les soins et les valeurs de ces producteurs. Aussi votre remarque sur le double empaquetage qui aide une meilleure preservation du produit, je n'avais pas encore vu de double empaquetage!<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Francoise
S
Thank you Sophie! What can I say that hasn’t been said before? Kudos to you for such a superb article and thank you for sharing it with us. The clarity of your writing and the beautiful photographs repaid above and beyond the time spent trying to figure out what half of these French words mean!
P
To Alisa:<br /> <br /> You may quote part of the blog and use a few photos, as long as you link to the blog there is no problem in that. Thanks for your appreciation!
A
Love this. May I quote you on my blog? I'd like to repeat some of what you said here. Are you willing to share your photos? Thanks! - Alisa
F
joli article ,mais je voudrai bien le déguster ce BEURRE, donner moi quelques adresses s.v.p. villes avoisinantes :Ploërmel, Malestroit, et plus loin Vannes merci
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