Tempête de neige sur New York
On ne peut pas me reprocher d'avoir apporté ce temps de Californie avec moi. Les réflexions stupides du genre "vous nous avez apporté la neige" ne risquent pas de fuser. Voici encore quelques jours, je grillais dans les collines de Santa Cruz sous un soleil estival. Hier, à Manhattan, un air mi-figue-mi-raisin se chargeait par moments de bouffées glaciales, et je me suis surprise à penser : "C'est mauvais signe", comme il y a plus de vingt ans, lorsque je vivais ici. À ce moment j'ai commencé à comprendre une chose étonnante : on ne perd jamais les habitudes prises à New York. Elles restent incrustées dans les tripes.
J'étais alors à Chinatown, et déjà l'Empire State grattait le ciel d'un air soucieux.
C'était une simple promenade de foodie, avec soupirs de nostalgie devant les nombreuses variétés de crevettes.
Petit pas de danse des crabes éventrés, suspendus telles des marionnettes.
Mott Street. Dans les vitrines, les poulets de Hainan adorent regarder passer les gens.
Tandis que les poules d'Agent Provocateur ont beau jeu d'être dénudées, bien au chaud dans leur boutique. C'est dehors que le froid se prépare à frapper. Et ça va faire mal (Johnny).
Le soir tombe, l'air bleuit et fraîchit décidément. Cette nuit, patatras, le ciel va se déchirer et l'espèce de glace pulvérisée qu'on appelle slate (pas vraiment d'équivalent en français, mais aussi ça ne tombe jamais en France) va couvrir la ville, dès le lendemain matin, d'un voile léger.
Alors d'abord on essaie de se rassurer, on se dit que c'est pas de la vraie neige, la vraie neige c'est des jolis flocons tout légers qui dansent, pas cette grêle passée au mixeur. Ça ne va pas durer.
Tiens, je t'en fiche ! Bientôt on en est là. Je me souviens qu'autrefois je contemplais par la fenêtre, de mon appartement surchauffé (comme toujours ici), la neige portée par le vent, courant presque à l'horizontale. Et ça, ce n'est rien du tout. Chaque angle de trottoir se transforme en lac de réservoir débordant de ce mélange caractéristiquement new-yorkais de neige, d'eau et de boue qui a précisément la consistance d'un granité et qu'on appelle slush ou slosh ou sludge. Une calamité qui rend chaque traversée de rue très périlleuse. J'avais oublié qu'ici, on faisait les giboulées de mars sur ce modèle.
Les concierges s'arment de leurs outils de nettoyage, les
chasse-neige de trottoir entrent en exercice. 42e rue et Bryant Park :
les passants trouvent refuge sous l'abri des échafaudages.
Il faut
rendre grâces aux New-Yorkais de ne pas se transformer en mauviettes dès
qu'il tombe un flocon de neige. La neige, ici, on connaît, on fait
avec. Les voitures continuent de circuler, quoique avec précaution. Les
marcheurs continuent de marcher, pataugeant jusqu'aux chevilles dans le
sorbet à la boue urbaine.
La neige à New York rend la ville encore plus belle. Elle la rend monochrome, en noir et blanc, comme un vieux film.
Et c'est encore plus beau quand le soir, avec le bleu, fait revenir la couleur.