Dites-le avec une soupe
Ma soupe (après).
On n'a pas si souvent des journées comme celle-ci. Zemmour a récemment subi un attentat pâtissier, aujourd'hui les Égyptiens ont enfin réussi à se débarrasser de Moubarak, et la délicieuse Meg Zimbeck dont l'humour me ravit à chacune de ses revues de net sur Paris By Mouth vient de me citer in extenso. C'est trop de bonheur, je n'arrive pas à contenir ma joie, et vous savez ce que je fais quand je n'arrive pas à contenir ma joie ? Je fais de la soupe.
Et comme cette soupe de légumes, dans la catégorie qu'est-ce-que-j'ai-sous-la-main, était ce soir (sans exagération) la meilleure soupe de légumes du Ve arrondissement, je vais vous donner la recette.
Vous allez voir, c'est tout simple et en même temps cela demande une certaine minutie.
Il vous faut :
du bouillon de volaille (un cube bio et de l'eau filtrée si vous n'avez pas de bouillon maison)
3 gros poireaux
2 pommes de terre
2 cœurs de chou-moutarde chinois (gai choi) bien charnus
3 pieds de céleri chinois (je dis bien chinois, aucun autre céleri ne conviendra)
Je vous expliquerai ensuite le pourquoi du comment de certains ingrédients.
Pour le moment, vous épluchez les poireaux en leur laissant environ 10 cm de vert. Séparez le blanc du vert. Lavez-les séparément en séparant bien les feuilles du vert. Émincez les blancs de poireau, réservez le vert.
Lavez bien aussi le chou-moutarde en retirant la base du pied et le vert des feuilles (utilisez-le pour autre chose). Gardez les côtes charnues. Coupez-les en morceaux.
Coupez les pieds de céleri à 15 cm de la racine. Coupez la racine. Retirez les côtes extérieures pour ne garder que le cœur tendre et ses petites feuilles. Lavez-les bien. Hachez-les grossièrement.
Epluchez les pommes de terre, coupez-les en deux et émincez-les en tranches fines.
Réunissez tous ces légumes dans une casserole, couvrez du bouillon (ou d'eau, en ajoutant le cube émietté), portez doucement à ébullition, couvrez et laissez cuire 15 minutes sur feu doux.
Pendant ce temps, émincez le vert de poireau en très fine julienne (dans le sens perpendiculaire aux fibres). Couvrez la julienne d'un bol pour protéger ses arômes.
Retirez la soupe du feu et laissez reposer 10 minutes. Mixez finement à l'aide d'un mixeur plongeant.
Remettez sur le feu et attendez le frémissement. Ajoutez le vert de poireau, couvrez et retirez du feu immédiatement.
Attendez 3 minutes puis retirez le couvercle. Rectifiez l'assaisonnement. Servez sans rien ajouter : ni beurre ni crème. Non que j'aie soudain un accès de puritanisme alimentaire, mais un quelconque ajout atténuerait le goût de cette soupe remarquable.
Quelques éclaircissements sur les légumes chinois : ils apportent un goût particulier, subtil, qui se fond admirablement dans l'ensemble, produisant une soupe très raffinée. Un chou à la mode de chez nous, un céleri-branche classique ne donneraient pas ce résultat.
Le céleri-branche possède un goût puissant, dominateur. Le céleri chinois, plus fin et plus allongé, est aussi plus doux et aromatique. Son goût distingué, voire aristocratique, s'unit intimement, sans violence, avec les autres saveurs. C'est un légume-herbe admirable, et je m'étonne qu'il soit encore si peu employé (pas du tout, à ma connaissance) par les chefs de chez nous.
Quant au chou-moutarde, que vous trouverez sous le nom de kai choy ou gai choi, il est plus mystérieux. Dans la jungle des brassicacées chinoises feuillues dont la variété semble s'étendre à l'infini, il occupe une place particulière à cause de sa texture non filandreuse : le couteau y entre comme dans du beurre, ce qui en fait un parfait légume à soupes. On le reconnaît à ses belles côtes charnues et arrondies, d'un vert de jade, à ses feuilles striées en éventail et à son petit goût amer et sucré.
Notez que c'est un cousin de ce gai choi, le zha cai (ci-dessus), que dans la province du Sichuan on récolte à l'état de souche bourgeonnante pour lui faire subir une lactofermentation qui le transforme en pickled mustard (disponible en sachet chez votre fidèle épicier chinois). Il m'est arrivé de m'interroger devant ce zha cai à l'état frais sur les marchés cantonais, et de le déguster ensuite. Sur l'étal, ça ressemble à du peyotl : curieuse masse patatoïde hérissée de boutons bulbeux. En bouche, moelleux et noisetté comme une pointe d'asperge blanche avec un très léger goût de raifort, c'est un délice gastronomique inouï, un Everest du légume.