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12 janvier 2010

Un barbecue à Anxi

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Octobre 2009, région d'Anxi, province du Fujian, République populaire de Chine.
Parfois, vers 4 ou 5 heures du matin, je m'éveille momentanément sur mon dur lit chinois (si bon pour le dos). La nuit n'est jamais silencieuse. Oiseaux, chiens, grillons, rafales de vent dans les bambous, voix humaines… Mais à cette heure-là c'est un son bien particulier que j'entends. C'est le long et puissant couinement du cochon qu'on égorge, pas loin, dans la porcherie. Je me suis faite à ce bruit plus vite que je ne le pensais. Je le préfère de toute façon au bourdonnement d'un moustique. Et pour le village, ça veut dire : demain matin, passage du boucher à moto. Ça veut dire viande.

02_paysage

Vers 8 heures, la brume se lève. Le village est déjà bien éveillé. Les commerçants à moto signalent leur passage à grands cris, sur fond de pétarade. Le cochon qui agonisait cette nuit est visible en pièces détachées sur le large plateau que le boucher a fixé au porte-bagages. La viande très fraîche n'est maintenue par rien sur le véhicule : quand le boucher se déplace, la viscosité de la chair la fait tenir en place. Elle colle littéralement à la planche.

01_boucher

02_boucher

À quelques détails tels que la moto près, ces images n'ont pas d'époque. Ce délicat geste de pesée aurait pu figurer sur une peinture de la dynastie Tang.

03_boucher

Pas besoin d'avoir fini son congee matinal pour aller choisir le cochon du jour. Avant l'heure, c'est pas l'heure, et après l'heure c'est plus l'heure. Il faut profiter du passage du boucher.

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Quant à nous, nous l'avons repéré, ce cochon, depuis un moment déjà. L'extraordinaire qualité de cette viande ne nous a pas échappé. Et comme nous sommes des foodies en villégiature, nos petits neurones spécialement affectés à la gourmandise ont travaillé. Seb et Jing ont déjà imaginé ce qu'ils allaient faire de ce superbe produit. Ils ont pensé : barbeuk.

chilis

Autonomie alimentaire, miracle de tous les instants. C'est pour moi une méditation permanente, séjourner à Anxi. Ce lieu me rappelle une époque que je n'ai connue que par les récits de mes parents, de mes grands-parents : celle où l'on produisait soi-même une bonne partie de sa nourriture. Ici, en Chine rurale, en Chine des montagnes, c'est le cas, et personne n'a de leçons de locavorisme à recevoir. Légumes, herbes, condiments, viandes, volailles, poissons et les principaux fruits (bananes, kakis) sont locaux et de saison. Céréales et autres fruits sont produits plus près de la mer, en plaine. Les plantes et fruits sauvages font partie du régime quotidien, les forêts donnent les pousses de bambou. Légumes et piments rouges croissent partout où l'on a trouvé la place de les semer. L'alcool de riz (j'y reviendrai) est fait maison. Et il y a le thé, bien sûr. Produit maison aussi.

canards

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Ici, on trouve en abondance des briques, des moellons de granit et du charbon. Il n'en faut pas plus pour passer à la concrétisation. Depuis ce matin, le carré de cochon acheté au boucher à moto marine au frais avec sauce de soja et vin de riz. Cette gnôle maison orange vif dont j'ai parlé tout à l'heure et que Seb (ici en train d'allumer le barbecue) appelle "pue-la-gerbe", surnom facile à comprendre dès que l'on hume le breuvage. Mais elle n'en a pas moins une belle longueur en bouche et des accents aromatiques-sucrés très intéressants, ainsi qu'une complexité rappelant (d'un peu loin je vous l'accorde) les vieux jerez secs. Pas forcément le paradis à boire, mais un magnifique auxiliaire de marinade. La chose m'est apparue tout de suite alors que je toussais la première gorgée. J'ai dit à Jing : "Il faut faire mariner des choses là-dedans. Ça va être géant."

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Pendant ce temps, dans le jardin derrière la maison, sous l'osmanthus, un villageois surnommé La Tortue saisit un poisson rapporté d'un lac de montagne : c'est un pomfret d'eau douce et nous allons aussi le cuire entier au barbecue.

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La Tortue est un excellent cuisinier et j'aime le voir nettoyer les poissons. J'admire la précision de ses gestes, la vigueur de son maniement du couperet. Le couperet, en cuisine chinoise, sert à tout : couper, trancher, émincer, hacher, écraser…

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... et écailler. Les poissons se débattent énergiquement et ne lui facilitent pas la tâche, mais il les maintient d'une main ferme. Il y a trois ou quatre pomfrets et quelques petits perches qu'il préparera au wok, à la friture.

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Voici un des pomfrets en attente d'être posé sur les braises. Jing a placé des brindilles de thé tieguanyin dans la cavité ventrale. Elles parfumeront délicieusement la chair. Juste derrière, M. Cochon attend aussi.

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Côté dimension sociale, "la découverte d'un nouveau plat, disait Brillat-Savarin, fait plus pour l'humanité que la découverte d'une étoile." Ne nous y trompons pas, ce que nous faisons ici est de la fusion food. La technique du barbecue est peu usitée dans les montagnes du Fujian, c'est le moins qu'on puisse dire. Ici règnent le wok et la marmite à bouillon (et bien entendu le rice cooker). Voilà pourquoi nos amis du village se massent, très intéressés, autour de notre foyer de brique. Des odeurs célestes s'élèvent déjà du porc en train de grésiller, mais tous, petits et grands, ont la politesse de ne pas montrer leur fringale.

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Les choses prennent bonne tournure, y compris les cuisses de poulet également marinées par Jing. Dans un petit moment, elle ajoutera des ailerons marinés.

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Ça a l'air bon ? Ça l'était. Le carré de cochon, qui commence à être à point, est rangé sur le côté de la grille afin de faire place aux autres denrées. Les cuisses de poulet se font doucement fumer à la périphérie.

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Ailerons de poulet laqués et grillés, prêts à être envoyés aux salles à manger de la grande maison.

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Bin Bin apporte la touche finale : une grosse jarre de miel de théier (récolté sur les théiers familiaux) dont Jing laquera le carré de porc, les cuisses et les ailerons de poulet en fin de cuisson. Je sais que vous brûlez de me le demander, alors je vous renseigne : le miel de théier, c'est délicieux. D'ailleurs, peu après avoir pris la photo, je suis allée chercher une cuillère à la cuisine et j'ai fait un peu baisser le niveau dans la jarre. C'était inoubliable et bon pour la voix.

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Pour terminer, le pomfret se fait griller la couenne. Un poisson ferme et savoureux, sans le moindre goût de vase, doté d'un étonnant caractère pour un poisson d'eau douce. Après cela, je ne sais plus très bien ce qui s'est passé. Il y a eu un mouvement familial vers la maison, quelqu'un a dit "À table !", on a sorti les bières, et je ne sais pas trop pourquoi, j'ai cessé de prendre des photos.

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Commentaires
S
quel festin et quelle belle expérience!
C
Ca n'existait pas (encore) et tu l'as fait... Mon écran d'ordinateur vient de m'envoyer des odeurs délicieuses de viande grillée... Ca me rappelle que quand j'étais petite, chaque hiver, on tuait le cochon chez mes grands parents. Le boulot des enfants, c'était de gratter les boyaux pour faire de l'andouille. Et ça on savait très bien faire ! Merci pour ce voyage en Chine puis dans le temps et l'expérience techno olfactive. Et bonne année !!!<br /> Catherine.
P
J'adorais regarder ma grand-mère (cambodgienne, mais on l'avait mariée à un Chinois) préparer les poisson avec son beau couteau/hachoir ramené de là-bas (d'ailleurs c'est assez étonnant, ma famille a donné tous les bijoux et l'or qu'elle avait pour payer un passeur sur la route vers la France mais ils sont gardé tous les mortiers, les couteaux, les marmites et les poêles, même celle avec des creux pour faire les gâteaux ronds à la farine de riz et à la ciboulette).<br /> Ce repas me laisse rêveuse.
M
C'est tout simplement merveilleux.
M
bon dis donc, quelle aventure ! ... j'en ai la salive au coin du bec.
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