Grands et petits moments de novembre 2008
J'aime toutes les saisons à Paris, mais particulièrement l'automne et l'hiver. J'aime le bleu Delft du ciel à la tombée du soir, ici capturé place Maubert, juste devant la fromagerie Dubois — hmmm qu'ils ont de la chance, les gens qui habitent le Ve et sont donc à distance pédestre de la fromagerie Dubois, or c'est mon cas. Ainsi retombons-nous sur nos pattes poilues de fieffés gourmands avec l'apparence du plus parfait naturel. Novembre est un mois qui sollicite toujours toute mon attention. Voici quelques événements qui ont marqué pour moi cette entrée dans l'hiver (réel).
D'abord, quelques images.
Chaque fois que je passe devant le Select, boulevard du Montparnasse, je me dis : "Qu'est-ce que c'est beau !" Prière au monde moderne qui bouffe tout ce qui est beau : laissez cette merveille tranquille et ne me la transformez jamais en agence bancaire, au cas où il vous en viendrait l'idée, s'il vous plaît.
Photo prise à la sauvette dans l'autobus 63, boulevard Saint-Germain. Cette photo m'émeut beaucoup à cause de la réunion de ces jolies mains ciselées par le temps et de cette fente évocatrice sur le côté de la jupe.
Le soir même, mon appareil posé sur une table du Café de Flore prend cette vue cavalière.
Et maintenant, le gustatif.
Thanksgiving : tarte aux noix de pécan et tarte au potiron préparés par le chef résident des bureaux du CCN, l'organisme à l'origine du festival Gastronomy by the Seine à Paris. Je n'y ai malheureusement pas goûté, je devais thanksgiver ailleurs, rue du Poteau (Buddy Street), chez John Talbott où un savoureux festin fut servi. Dans l'allégresse ambiante, personne n'a pris de photos. En revanche on a bien bu.
C'est à peu près vers Thanksgiving que j'ai traversé une période non pas noire, mais disons gris anthracite, dans des restaurants parisiens. Pas de chance. Ça a commencé par la visite à Paris de mon ami Mikael J., notoirement difficile à satisfaire. Sur notre première visite, Vin sur Vin, rue de Monttessuy, dans le VIIe, je ne dirai que le strict nécessaire. Ci-dessus, mon entrée : un croustillant de pied de cochon qui était le meilleur élément du repas. Dommage que la tranche de foie gras à demi fondue lui donne un look, un look sur lequel aussi je ne dirai que le strict nécessaire, c'est-à-dire rien.
Plus tard dans la soirée, histoire de ne pas terminer celle-ci tout à fait désespérés, nous nous réfugions chez Senderens. Las, le croustillant de langoustines a ce soir un petit faux air de KFC.
Heureusement, les desserts et le château-doisy-daëne ont sauvé l'affaire.
Le lendemain soir, Gérard Besson. Une maison que j'aime beaucoup. Et quand je vois sur la carte "noisettes de chevreuil grand veneur", je ne laisse pas passer ça. Hélas le chevreuil arrive beaucoup trop cuit. On m'en apporte un autre, moins racorni, mais la viande a dû rester un peu trop longtemps sous vide et sa texture s'en ressent. Il est donc impossible de la cuire saignante comme elle le nécessiterait.
Mais mon entrée, un vol-au-vent au ris et rognons de veau et aux morilles, a aussi sauvé la soirée.
Les Pâtes Vivantes, rue du Faubourg-Montmartre. Je mentionne cette visite que parce que toute la blogosphère ou peu s'en faut en a fait des comptes rendus dithyrambiques. Et il suffit qu'un ou deux blogueurs en parle pour que tous les autres leur emboîtent le pas, un peu déçus de n'avoir pas été les premiers à clamer la découverte. Un resto chinois de Paris qui fait l'unanimité ? Ça titille ma curiosité, et pour tout dire je n'y crois pas beaucoup. Mais il faut aller vérifier sur place. Nous nous y retrouvons à trois : Joan, Ben et moi. Verdict partagé par tous les trois : très moyen. Pourtant c'est très authentique, au sens où ça rappelle la Chine... quand ce n'est pas très bon. J'ai du mal à comprendre pourquoi ce restaurant soulève tant d'enthousiasme alors qu'il y a de très bonnes petites gargotes dans le XIIIe ou à Belleville, autrement plus satisfaisantes que celle-ci. Ce n'est pas ainsi que le profond malentendu sur les cuisines asiatiques en France sera dissipé.
Le bon miam maintenant. Voici ma soupe cantonaise aux légumes et aux boulettes de poisson, à travers laquelle j'ai essayé de reproduire la recette servie par le restaurant Niu Niu, à Canton. Résultat : le bouillon était sublime, il avait exactement le goût "de là-bas". J'ai fait les boulettes avec du mulet, ça le fait, mais c'est loin d'avoir le velouté, le soyeux et la tendreté du grass carp cantonais. À Canton, dans ce bouillon, il y aurait en effet des quenelles de derme de carpe : on racle l'intérieur de la peau pour en détacher la chair grasse et onctueuse qui sert à les préparer. C'est alors un mets divin qui laisse très loin derrière lui la plus délicate quenelle lyonnaise (désolée pour mes amis lyonnais qui me lisent, je les engage juste à aller goûter ça chez Niu Niu s'ils ne me croient pas). Bon, j'abrège, sachez juste que c'est très bon avec du mulet : chair de mulet, gingembre, ciboule, œuf, sel et poivre, le tout bien mixé. Réfrigérer au moins une heure avant de pocher les quenelles façonnées avec deux petites cuillères.
Le bouillon est fait avec poitrine de porc salée, os d'échine de porc, gingembre et ail longuement frémis. La tête, les arêtes, les nageoires et la peau du mulet sont ajoutés trente minutes avant la fin de la cuisson. Les légumes : courgette blanche, kabocha, moutarde chinoise à côtes charnues (mon légume préféré en ce moment).
Ensuite, un bon bistrot, Chez Christophe, place de la Montagne-Sainte-Geneviève. Il n'y a pas beaucoup de bonnes tables dans cette partie du Ve, vendue corps et âmes aux attrape-touristes, et le Pré Verre n'est plus ce qu'il était depuis que son chef Philippe Delacourcelle est redevenu globe-trotter. Christophe, malgré un cadre glacial et pour tout dire morose, donne toute satisfaction avec des produits magnifiques, des préparations justes, un accueil charmant. Que demander de plus ? De bons vins pas chers, et on les a justement. Voyez un peu le doré-croustillant de cette anguille servie avec des artichauts barigoule. Un plat qui me console de tous les ratages et faux départs gastronomiques de ce mois.
Ceci est la moitié d'une très belle entrecôte de bœuf de Coutancie, tendre et persillée.
Et enfin, novembre a été le mois où Mama, l'épouse malienne de mon ami Fred, m'a appris à faire l'attiéké de mérou. Comme disait le président Mao, "ne donne pas du poisson à celui qui a faim, apprends-lui plutôt à pêcher". C'est exactement ce qu'a fait Mama, mais par-dessus le marché elle m'a donné du poisson.
Ici, Mama hache les piments antillais qui iront garnir l'attiéké juste avant de servir, mêlés avec le poisson émietté et des oignons crus hachés.
Voici le mérou, longuement rissolé dans l'huile. Il répand une odeur paradisiaque.
C'est moi qui suis chargée de la préparation de l'attiéké (un couscous de manioc légèrement fermenté) : cuit à la vapeur dans un couscoussier, puis émietté à la fourchette, beurré, et retour au couscoussier pour un second passage à la vapeur.
Vous avez vu avec quelle grâce et quelle dextérité Mama hache ses piments ?
Et là, vous voyez le Fooding à la manufacture des Gobelins... Ah mais non, le Fooding c'est en décembre !