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3 mars 2008

OFF3, Omnivore Food Festival (seconde partie)

9_chang

David Chang, restaurant Momofuku (New York).

(Pour la partie précédente, reportez-vous au post du 28 février.)
Une bonne nuit de sommeil, et retour aux démos. J'ai malheureusement loupé la majeure partie de celle de David Chang. Je suis arrivée à la fin, au moment où Sébastien contemple avec intérêt les bocaux de kimchi. David est américano-coréen, ce qui explique le kimchi. Mangez du kimchi citoyens, aurait pu écrire Queneau. Le kimchi est une panacée. Il paraît que les poules à qui on en fait picorer sont protégées de la grippe aviaire. "There is no food culture in New York City, dit David. People don't appreciate food the way people do in Europe or Asia." Cette déclaration étonne Sébastien, qui refuse de souscrire aux propos de David. David insiste calmement: "People are very close-minded in NY. They don't encourage young chefs to take chances."

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Carlo Crisci, restaurant Le Cerf à Cossonay (Suisse).

C'est par la précision des techniques et la minutie des cuissons que ce chef suisse se distingue. Également par un sens aigu des associations de saveurs — Lagavulin 16 ans et jus de truffe, le tout sur un canelloni d'huître à l'échalote confite et aux algues, ça impressionne — et par une recherche aiguë dans le domaine des produits. Ses crevettes ouvertes en papillon sont panées au manioc cru haché au couteau, il fallait que ce fût un Suisse qui trouvât ça. L'évocation de la carotte confite entière 1 heure au four, enveloppée d'aluminium avec un bâton de cannelle, parle directement aux sens. De même que le jus de carotte réduit à demi, mouillant un curry doux revenu aux échalotes confites, le tout monté à l'huile d'olive. Carlo nous montre ensuite sa technique pour griller des viandes à basse température. Son grenadin de porc ibérique est enveloppé dans une barde de lard puis dans une crépine. La "plancha douce" est une plancha à induction réglée au minimum de chaleur (65 °C). Le grenadin ira s'y rôtir 1 h 30, puis sera glacé au lierre terrestre. Coefficient de transparence élevé, je dirais 8 : cette démo donne faim.

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Paolo Lopriore, restaurant Il Canto, Certosa di Maggiano (Sienne).

Je ne sais pas si j'ai bien compris cette phrase, mais j'ai vraiment l'impression que Paolo Lopriore, dans son italo-français fleuri, vient de dire : "Les saveurs terriennes ferment un peu la personne." Quoi qu'il ait réellement voulu dire, ça me parle. La cuisine de ce chef siennois est profondément soucieuse des saveurs naturelles, dans une mise en scène sobre et sophistiquée. Le citron d'Italie donne une note ensoleillée omniprésente. Son plat le plus bluffant : un "cadran" solaire de citron sous diverses formes, déposé en rayons sur une assiette : zeste mûr râpé, citron confit au sel, zeste vert râpé, fleur de citronnier; et aussi gingembre râpé, menthe fraîche et sel. Il applique sur le tout un disque de langoustine crue écrasée qu'il assaisonne d'une vinaigrette composée de jus de carotte, de sel et de tête de langoustine pressée. Coefficient de transparence : 8. Prix Ptipois du citron, tout simplement. J'aime le citron. Mais au-delà du citron, Paolo donne très envie d'entreprendre une retraite à la chartreuse de Maggiano.

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Olivier Nasti, restaurant Le Chambard à Kaysersberg (Alsace).

Mmm, M. Nasti, votre royale d'ail garnie d'escargots et de mousse d'ail, présentée dans un jus de persil (persil frisé + lait + crème, le tout au Thermomix), fait très envie. On ne doit pas s'embêter chez vous, ni avec vous.

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René Redzepi, restaurant Noma (Copenhague).

Sans avoir l'air d'y toucher, sans feux d'artifice, modestement, René Redzepi réédite l'enthousiasme suscité la veille par Seiji Yamamoto. Sa "jeune cuisine nordique" et son usage des produits sauvages et cultivés du Nord ont déjà beaucoup attiré l'attention. Sa cuisine semble ne pas toucher terre : raffinée, pensée, mais jamais abstraite. Ses explications sont limpides, prodiguées avec un humour pince-sans-rire. Vous le voyez ci-dessus proposer à Sébastien une petite baie sauvage très riche en vitamine C (et donc extrêmement acide). Après nous avoir évoué le jardin potager auquel il s'approvisionne, il nous reproduit l'arôme du pré aux vaches : huile de colza, crème liquide, peau de lait, truffe de Suède en conserve ("Plus puissante qu'à l'état frais"), et herbes sauvages. La betterave cuite entière au four donne un jus que l'on mélange à des cendres de foin pour obtenir un gel ; sur cela, sauce à l'aspérule odorante (une herbe fabuleuse) et glace de lait battu. Cette cuisine est belle, honnête, sincère. J'en vois même qui ont la larme à l'œil. Coefficient de transparence : 7, pour la simple raison que j'ai du mal à me représenter les saveurs de produits nordiques inconnus de moi. Mais Noma figure résolument sur ma liste d'adresses à visiter.

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Thierry Marx, Château Cordeillan-Bages (Pauillac).

De toutes les cuisines présentées à l'OFF3, celle de Thierry Marx est la plus désincarnée, la plus abstraite. Cela n'étonne personne et ne constitue pas une critique puisque Thierry (qui est capable de tout autre chose) revendique cette abstraction et n'hésite pas à en rajouter des louches. Petit bémol, le discours dont il accompagne cette revendication. Plusieurs fois au cours de sa démo, en effet, il dira au sujet de ses initiatives chimico-physico-moléculaires : "Il n'est pas interdit de", "on peut oser", "on peut se permettre de", comme s'il s'agissait de transgressions, de jamais vu. Mais ça fait dix ans qu'on ose, Thierry ! Dix ans qu'on se le permet ! Et justement, depuis le temps, on commence à s'en lasser un peu quand ce style de cuisine cherche en lui-même sa propre fin. Tout est blanc dans cette démo, blanc et immaculé. Le navet daikon qui sert de base à la démonstration, les fumées, les glaces, les givres, la veste de chef de Thierry, et jusqu'à son crâne lisse au galbe très pur. Quand Thierry annonce son concept de "friture polaire" à l'azote liquide, je crois voir un ours blanc traverser la scène. Tiens, ai-je entendu "dashi" ? Eh oui, encore un dashi. C'est la tendance. Celui-ci est plutôt classique : eau minérale et kombu. Et le navet. La démonstration est construite autour d'un unique daikon. "Je vais tout utiliser de ce navet", annonce Thierry en début de performance. Le navet subira la totale, les fumées montent au firmament. Mais hier, Petter Nilsson, en utilisant tout du poireau, a produit quelque chose de plus terrien et parlant davantage aux sens. Aux uns les nuages, aux autres les sillons. Prix Ptipois du Kama Sutra : décerné à Thierry Marx dans la catégorie "les trente positions du navet". Coefficient de transparence : zéro ; c'est peut-être délicieux mais l'imagination reste inerte.

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Pierre Gagnaire, méditatif.

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Benjamin Toursel, Auberge du Prieuré, Moirax (Lot-et-Garonne).

Attention, talent. Ci-dessous, le sublime dessert qu'il nous a préparé pour le Grand Mix : un fin biscuit recouvert d'une mousse gélifiée au café amer, d'une légèreté aérienne et d'une audace de goût (très peu de sucre) remarquable. Allez chercher ce garçon au fin fond de son Sud-Ouest, je suis sûre que vous ne le regretterez pas.

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Jordi Vilà, restaurant Alkimia (Barcelone).

Jordi Vilà fait dans les tapas haut de gamme. Coïncidence, il réalise pour son assiette de haute mer un bouillon bleu rappelant celui de Gérald Passédat. En voici les ingrédients : têtes de langoustines, kombu, chou rouge pour la couleur. D'habitude il emploie du basilic pourpré, mais celui qu'il a apporté n'a pas tenu le coup pendant le voyage.

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L'assiette creuse accueille salicornes, huîtres, coques, bigorneaux décoquillés, gingembre confit et laitue de mer, et le bouillon bleu est versé par-dessus. Une petite cuillerée de caviar pour couronner le tout, avant de nous réinterpréter les œufs au bacon et de finir par un bar sauce encre de seiche et lait de coco, couscous de chou-fleur, évoquant selon Jordi un "paysage urbain".

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Sébastien et Michel Bras, restaurant Michel Bras, Laguiole (Aveyron).

Le père et le fils, réunis pour la première fois sur scène (on croirait du théâtre, mais c'en est un peu) annoncent qu'ils vont nous raconter une histoire de pain et de peau de banane. Je ne me souviens pas avoir assisté à tel numéro depuis les Bario.
Sébastien Bras : "En principe, on me pose la question : "C'est pas trop dur d'être le fils de Michel Bras ?"
Sébastien Demorand : "Je ne vous la pose pas, mais vous, vous la posez à vous-même, et vous allez y répondre."
Sébastien Bras : "Eh bien je n'y ai jamais vraiment pensé."
Michel Bras : "Mais tu te la poses quand même."
Leur "histoire de pain et de peau de banane" consiste en une crème au pain au levain torréfié au four, pulvérisé au Thermomix puis mélangé avec lait, beurre et gélatine. Une touche de rhum. Cette crème brun moyen est pochée sur l'assiette en une forme oblongue à l'aide d'une poche à douille lisse très large, environ 2,5 cm. Hum. L'aspect est un peu gênant, surtout lorsque les chefs piquent sur ce boudin deux peaux de banane séchées au four, sans doute afin de parachever l'effet "trottoir". Un look très urbain pour un dessert de l'Aubrac. J'ai du mal à imaginer que ces deux hommes extrêmement futés n'aient pas un tantinet calculé leur effet. Un sabayon au sucre muscovado et des zestes d'orange confits viennent compléter le tout. Heureusement, Sébastien Demorand, qui a goûté au dessert, me confirme plus tard qu'il est délicieux. Coefficient de transparence : 4. Prix Ptipois : j'hésite entre le grand prix de l'autoparodie et le prix d'honneur pour absence de dashi. (Pas un seul dashi dans cette démo, c'est incroyable, où va le monde ?)

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Commentaires
Y
pour avoir fréquenté son restaurant depuis 1982 peut être un quinzaine de fois je peux certifier que Michel Bras est un excellent cuisinier mais affirmer qu'il est extrêmement futé c'est une voie sur laquelle je ne m'engagerais certainement que sur la pointe des pieds
P
Merci Philippe !<br /> Je connais ton blog, il est très bien, je le mets en lien. Je n'ai pas pu parler d'Aduriz parce que je n'ai pas vu sa démo... Quant à la traçabilité créative, c'est une belle idée, mais un peu compliquée à mettre en œuvre. Salutations à toi aussi !
P
Très bons commentaires et très bon résumé. Je regrette que tu n'aies rien dit sur Andoni Luis Aduriz.<br /> Bonne idée le coefficient de transparence.<br /> Je te propose une autre idée .La traçabilité creative. D'où vient un plat ou une technique. On a pu voir au Forum Gastronomic de Santiago, en Galice, un cuisinier français présentant un "cous-cous" de chou-fleur et des "nouilles" de consommé d'agar-agar . Toutes les deux sont des techniques de Ferran Adrià d'il ya plus de 10 ans...<br /> Je te donne l'adresse de mon blog qui, je le regrette est en espagnol...Salutations.<br /> http://observaciongastronomica.blogspot.com
P
Merci. Pour le coef de transparence, tu as raison, et je l'ai rajouté dans la première partie là où il manquait. Là où il ne figure toujours pas, c'est que je n'ai pas de souvenir précis, ou que j'ai omis de prendre des notes, ou que je suis arrivée en cours de démo.
F
Excellent récit de ces deux jours. très détaillé et précis. Il manque juste un coefficient de transparence pour tous les chefs. Bye
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