Before la coqueluche
Désolée d'avoir déserté ce blog pendant presque un mois ; une
mystérieuse maladie s'est abattue sur moi le soir même du premier tour
de l'élection présidentielle. Et depuis, je traverse une période très
pénible, avec des nuits sans sommeil. Elle n'a pas été diagnostiquée
dès le début, d'où une évolution difficile.
Avant cela, je menais
une vie normale. Je sortais dans Paris sans fatigue, sans quintes de
toux, sans afflux de chaleur au visage. Je me baladais par exemple à
Château-Rouge, où je photographiais des piments habaneros, qui sont une des choses que j'aime le plus au monde.
Il y en avait justement quelques sachets suspendus sur un très beau mur.
Et même un petit qui s'était échappé. En ce temps-là, si proche, et qui me paraît maintenant si lointain, les habaneros venus d'ailleurs couraient librement sur les trottoirs de Paris.
On n'avait pas encore reçu le coup de massue sur la tête, ce coup de
massue qui laisse hébétée, impuissante et déprimée la moitié de la
France ; et moi, je ne savais pas encore que j'avais la coqueluche. Je
croyais juste que c'était un gros rhume, un gros vilain rhume poilu.
Mais
comme justement ça faisait mine de devenir vilain, un soir, n'y tenant
plus, je me suis rendue aux urgences ORL à Lariboisière. C'était la
veille du 1er mai ; si le lendemain n'avait pas été férié, j'aurais
attendu de voir mon médecin traitant. Voulant en finir vite et éviter
une surinfection, je n'ai pas hésité.
J'ai attendu de minuit à 4
heures du matin, toussant et flageolant. Une dame âgée, accompagnée de
son ami et de sa fille, attendait depuis 19 heures. Une jeune
Sri-Lankaise toussait, comme moi, de manière très sonore, en chant de
coq, avec des reprises respiratoires difficiles. Je ne pensais pas
encore à la coqueluche.
Au bout d'un certain temps, l'attente n'a
plus d'importance. Le temps s'arrête. On se fiche d'avoir attendu trois
heures, et si l'on doit attendre jusqu'au jour, on attendra. Tout
plutôt que de sortir autour de la gare du Nord aux petites heures du
matin. Il y a deux personnes âgées affligées de saignements de nez
sévères. Il faut les mécher, les panser ; les pauvres, sans doute une
suite des fortes chaleurs que nous avons eues ces jours derniers.
C'est
peu avant 4 heures que je pénètre enfin dans le bureau de l'interne en
ORL. Une frêle jeune fille peu aimable qui me questionne à peine,
m'examine très peu, n'écoute pas mes poumons (je lui dis pourtant que
je tousse depuis une semaine sans pouvoir dormir la nuit), mais qui en
revanche prend un plaisir sadique à m'abaisser la langue de toutes ses
forces avec sa plaquette de bois. Deux fois elle me fait étouffer ; à
chaque fois elle a un petit sourire au coin du bec. Elle me dit "c'est
viral" et me fait illico une superbe ordonnance de sérum physiologique
pour me laver le nez. De toute évidence, elle se fout de ma gueule.
"Vous croyez que je suis venue ici et que j'ai attendu quatre heures en pleine nuit pour me faire prescrire du sérum phy ?
— Si je vous donne des antibiotiques, vous allez développer une résistance aux germes.
— Ne pas dormir pendant plusieurs nuits à cause d'une toux, ça ne vous dit rien ?"
Elle
ne m'écoute même pas. De toute évidence je l'embête beaucoup. Je la
prie de me donner une ordonnance digne de ce nom ; elle finit par
griffonner quelque chose à base d'amoxicilline au bas de son ordonnance
et me congédie — pas franchement d'un coup de pied dans le cul, mais le
cœur y est.
Eh bien, greluche de garde, j'ai le plaisir de
t'annoncer que tu as fait une belle erreur de diagnostic. Il y a une
coqueluche qui traîne depuis quelque temps, et le nouveau mode de
transmission de cette maladie très désagréable — et potentiellement
dangereuse pour les très jeunes — se fait par les adultes, vers les
jeunes enfants non vaccinés. C'est dire qu'il ne faut pas rigoler avec
ça. Et toi, si tu m'avais examinée correctement au lieu de faire ta
pétasse, j'aurais eu — au lieu de cette ordonnance pour rhume banal
arrachée à grand-peine — un traitement d'érythromycine qui aurait, sans
enrayer la maladie, au moins écourté la période de contagion.
Nous sommes le 18 mai et je tousse encore. Je pense toutefois être
entrée depuis quelques jours en période de convalescence. Jusqu'à la
nuit dernière, je redoutais la position couchée. Je ne m'endormais pas
avant 4 ou 5 heures du matin. Je ne me réveillais pas avant midi. Cela
me niquait totalement mes journées. Cette nuit j'ai tout de même pu
dormir à 3 heures, m'éveiller à 11 heures. Il y a un net progrès. On va
donc, cahin-caha, recommencer à vivre. Et pour quel avenir ?
Cet
entre-deux-tours a été celui de la crainte, des faux espoirs, de la
préparation au découragement. Et maintenant, après le coup de merlin,
c'est la torpeur. Nous sommes tellement sonnés que plus personne ne
moufte. Les seules voix qu'on entend sont celles des imbéciles
arrogants qui ne perdent pas une occasion de rappeler qu'ils ont le
triomphe modeste, d'une presse ahurissante de collaborationnisme
courtisan (je propose qu'on rebaptise Le Monde — La Pravda, en voilà un bon titre !), d'une moitié de la France qui s'apprête à saigner l'autre, de toute une
culture plurimillénaire qui, pour une des rares fois de son histoire,
opte pour la négation d'elle-même. Plus rien ne sera jamais comme avant.
Mais ne cédons pas au cafard. Bientôt, quand j'irai mieux, nous retournerons à Love Apple Farm. C'est promis. Il reste des légumes à récolter.