L'Orénoc
Œufs de hareng, semoule de chou-fleur cru, fruits secs, sirop d'oignon à l'huile de noisette.
Quand on parle de créativité et d'innovation en cuisine (et on en
parle beaucoup), on oublie trop souvent qu'il y a des degrés en tout.
Pas forcément dans le degré de créativité et d'innovation, mais dans le
traitement, le style. Certains font du Wagner tandis que d'autres font
du Satie. Claude Colliot, lui, au piano de L'Orénoc, serait plutôt du
genre Satie.
Avec lui, pas de corrida, pas de muleta, pas de
banderilles. Ce n'est pas lui qui vous ferait poser le bout de la
langue sur le laiton d'une pile Wonder, peuplerait votre assiette de
Schtroumpfs verts tremblotants ou vous servirait au milieu d'un nuage
de fumée. Et pourtant, il s'agit bien d'un décoiffage en règle, d'une
redistribution des cartes, d'un déplacement des repères. Mais au prix
de glissements doux, pas de décalages abrupts.
Vous auriez plutôt,
au tout début du repas — l'amuse-bouche — l'impression du contraire :
ce sorbet d'huître crémeux, iodé, affirmé, attaque fort, si fort qu'il
a tendance à éclipser la gelée de verveine et la truffe noire qui lui
servent de base. Mais la suite ne confirmera pas cette violence, au
contraire : les associations de goûts et de textures se présentent avec
modestie, n'osant pas s'imposer, se révélant au fur et à mesure. Elles
semblent issues d'une inspiration calme, méditative, rêveuse, qui les
construit brin par brin, comme un oiseau fait son nid. C'est au bout
d'un certain temps que vous vous apercevez de leur harmonie profonde.
Vous avez déjà deux ou trois fourchettées à votre actif et, soudain,
vous sortez d'un rêve, vous levez la tête et vous vous rendez compte que c'est vachement bon,
ce que vous êtes en train de manger, mine de rien.
Certains chefs
fondent leur style sur le contraste, et le contraste n'est pas absent
de la cuisine de Claude Colliot. Mais ce n'est pas lui qui joue le
premier rôle ; l'harmonie passe devant. Les associations d'arômes ne se
font pas sur des variations dramatiques mais sur une mélodie de faible
amplitude ; la dynamique est horizontale et non verticale, la mélodie
est oscillatoire comme celle d'un raga indien construit sur une
ambiance autour de quelques notes. Textures et goûts se renvoient la
balle en ping-pong plutôt qu'en tennis. Il se dégage de tout cela, à
mesure qu'on pénètre dans cette atmosphère et que l'on identifie la
mélodie, une impression de calme et de confort.
La cuisine de Claude
Colliot est à la fois humble et ambitieuse. Ses clins d'œil ne sont
jamais appuyés, ses audaces ne sont jamais ostentatoires, les
révélations gustatives surgissent au tournant d'une bouchée et
surprennent sans agresser. Son originalité sait rester près de la
terre, et jamais le goût n'est sacrifié au profit de l'épate.
La
cuisine d'un chef est à son image. Celle de Claude est, comme lui,
chaleureuse, réfléchie, pleine d'humour et tout en finesse. Beaucoup de
chefs ont tout ce qu'il faut pour nous étonner. Lui dispose en plus,
sur sa palette, de paix, d'harmonie et d'une forme très particulière de
méditation.
L'Orénoc, hôtel Méridien. 81, boulevard Gouvion-Saint-Cyr, Paris 17e. Tél. : 01 40 68 30 40. Fermé dimanche et lundi.