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chez ptipois
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31 octobre 2006

Salon du thé, à la Bourse de commerce

Depuis samedi, et jusqu'à aujourd'hui, s'est tenu le salon du Thé sous la rotonde de la Bourse de commerce, un lieu que j'avais toujours admiré de l'extérieur. C'était ma première entrée.

Le commerce, au XIXe siècle, à l'instar d'autres belles idées générales telles que la République, le Savoir, etc., aimait bien se mettre en scène de façon toute religieuse. Jadis, j'ai potassé ça en long, en large et en travers durant mes études d'archéologie. Je m'étais particulièrement intéressée aux images du commerce dans l'ornementation architecturale aux États-Unis. Celle-ci avait de grands précédents, et cette Bourse — où la pratique, hum, euh, civilisatrice avait la place de s'afficher jusqu'à plus soif sur la paroi intérieure d'un immense dôme  — en est un. Peut-être proposerai-je ici un jour une étude complète du programme iconographique de ce grand mural. Mais pour l'instant on va s'intéresser au thé. Pas avant, toutefois, d'avoir levé les yeux vers le plafond, comme il se doit.

L'activité commerciale est décrite dans une dimension mondiale, comme il sied à un espace qu'on peut diviser en quatre parties (quatre continents, disons cinq arrondis à quatre, pour faire un compte rond — ça aussi c'est du commerce). On découvre par conséquent les peuples autochtones observant avec la plus grande révérence le pillage de leurs matières premières par l'Occident triomphant. Les Européens sont toujours graves, business-like, dignes et immaculés; les peuples autochtones (surtout les moins vêtus d'entre eux) ont toujours un petit air un peu mal en point, de guingois, mal soignés ; on sent que ces gens-là ne vivent pas de façon très saine, il est grand temps de leur apporter la civilisation. Cela, bien entendu, est une autre histoire et n'est pas du ressort du commerce, lequel n'est là que pour attraper un maximum de matière nourricière pour le minimum de contrepartie. Mais il n'est pas inutile — l'art de propagande ayant toujours quelque chose de globalisant, et sachant très bien, mine de rien, s'occuper du four alors qu'il est au moulin — de préparer idéologiquement le terrain pour des entreprises plus martiales et plus intellectuelles (mais qui ne font aucun mal au tiroir-caisse, bien au contraire). Ah, the burden of the White Man!

mural01


On voit ici par exemple des peuples septentrionaux (probablement russes ou sibériens) proposer leurs produits marins. Le ciel est lourd, les architectures sombres, l'ambiance froide. On sent que ce sont des pays où on en chie.

plafond1


Rythmant la scène, des frontons appliqués servent de base à des représentations allégoriques peintes en grisaille. Saisons, métiers, je n'ai pas bien détaillé. Au sommet, une Vertu ou un principe personnifié qui s'ennuie. Les personnages manquent un peu d'entrain, ils sont nettement plus posés que dans d'autres œuvres officielles de cette époque. On sent bien que le commerce, ça ne rigole pas.

_tag_res1

Revenons à ce qui se passait sous ce beau plafond. On a aménagé une partie centrale pour l'information. Elle est constituée de structures en bois et 'd'étagères décorées de boîtes à thé et de bocaux de verre.

chanoyu6

Eye candy : une démonstration de chanoyu.

chanoyu9

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Avec dégustation.

brique

À l'intérieur de l'espace "info", petite exposition de différents types de thé. Voici une belle brique de thé pu-erh.

pivoines_vertes

Autre exemple de thé façonné, catégorie très étendue : quatre "pivoines vertes".

gyokuro

Dans des bacs, des thés en vrac. Ci-dessus, un gyôkuro japonais. On peut y mettre les mains (peu de gens l'osent), et éprouver avec délices le contact très "liquide" de ce thé et son léger bruissement rappelant celui d'un torrent.

tieguanyin

Un merveilleux tieguanyin chinois, un wulong (thé semi-fermenté) très floral. Cette photo permet de comprendre pourquoi on appelle ce type de thé "bleu-vert".

baimudan

Le thé blanc (non fermenté) bai mudan (pivoine blanche), léger et rafraîchissant.

ying_zheng

Le duveteux ying zheng, le thé qui ne fait aucun bruit sous les doigts. Curieusement, il est appelé "thé jaune", alors qu'il est couramment considéré comme un thé blanc. Les bourgeons terminaux du rameau de thé, séchés, n'ont pratiquement aucun poids. Ce thé est cher, mais on en a beaucoup pour son argent.

th_i_res_japonaises

Ce salon est surtout une vitrine pour la vente en gros. Toutes les nationalités du thé, loin s'en faut, ne sont pas représentées. Le nombre d'origines reflète l'état de la mode. Donc des Japonais, beaucoup d'Indiens, beaucoup de thé de style anglais, et pratiquement pas de Chinois, bien que des thés de Chine soient présentés. Ci-dessus, théières japonaises en céramique fine  non vernissée.
Je note une prédominance de ce que j'appelle le thé "à la française", qui est une perversion du style hyper-parfumé mis à la mode par Mariage Frères. Il n'est pas facile de parfumer des thés. Les Chinois, les Russes, les Iraniens y réussissent. Mariage s'y prend plutôt bien (il y a tout de même à son catalogue des parfums trop exubérants), mais depuis quelque temps, le marché est saturé de thés français, ou de marques à consonance anglaise, qui sont une véritable agression pour l'odorat. Vanille à outrance, caramel, chocolat, épices, zestes d'agrumes, fleurs, fruits, etc., si prononcés qu'on en a mal à la tête. Et en général, tout est dans le nez (atchoum !), rien dans la tasse. Infusés, il est rare que ces thés présentent quelque intérêt. Le thé est aussi pur, aussi délicat que le vin, le café, le cigare, le fromage. Il demande la même authenticité, le même souci du terroir, du climat, de l'organisme producteur (vigne, arbuste, plante, lait). Alors qu'on me débarrasse de toute cette parfumerie, et qu'on me donne du vrai thé ! Tous ces foins arrosés d'eau de Cologne, conditionnés dans des boîtes adorables, sont des épate-bourgeois qui n'ont de thé que le nom.

Oh, ce n'est pas qu'on soit frustrés de thés authentiques. Les vrais amateurs trouvent leur compte. Dommage toutefois qu'il y ait si peu d'occasions d'acheter. Les Indiens venus faire admirer leur marchandise ne donnaient aucun indice pour les retrouver dans le commerce. Ayant humé quelques contenus de boîte, il m'est arrivé de le regretter.

th_s_Inde

En effet, les plus bluffants, c'étaient les Indiens. Propriétaires de jardins ou représentants du National Tea Board of India, ce sont eux qui ont présenté les produits les plus étonnants. Non contents de produire de fabuleux darjeelings, ils se sont mis à courtiser le marché américain en commercialisant des thés qui n'ont jamais été dans leur tradition (pas si ancienne il est vrai) : les voilà qui se mettent à faire des thés blancs et des thés oolongs ! Et ils s'y prennent très bien. Ci-dessus, un thé blanc (à droite) et un thé oolong (à gauche), tous deux de Darjeeling. Je demande à un producteur la raison de ce tournant dans l'histoire des thés indiens. Il me répond, l'air futé : You know, Americans are so health-conscious... And they want white teas and green teas because of the antioxidants. So we cater to them! Bien raisonné. L'Inde éternelle ne laisse jamais tomber en route le souci des choses pratiques. Et c'est aussi une ironique réponse au programme iconographique peint au plafond, au-dessus de nos têtes...

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Commentaires
L
I almost feel like I'm looking in on a religious rite. Great report!
S
Je suis venue jusqu'ici grâce à Kris et son "2 cuillères à thé" et j'en suis ravie. :-)
C
J'aurais aimé y être.<br /> Merci pour le compte-rendu.
A
Ces photos sont merveilleuses, l'ambiance y est palpable, merci pour cette évasion de bon matin!
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