La bataille du khao soi (prologue)
C’était il y a quelques jours, sur les forums eGullet. Un thread sur les plats
thaïlandais à base de nouilles avait été inauguré par mon ami Austin Bush. La
conversation s’était vite concentrée sur deux plats populaires, le phat thai
et le khao soi. Vous êtes nombreux à connaître le premier, un plat de
nouilles de riz plates sautées avec œuf, sauce de poisson, crevettes
séchées, pousses de soja, porc émincé et cacahuètes grillées. Je
partage l’avis d’Austin : il est rare de trouver un bon phat thai,
en Thaïlande comme ailleurs, et cette spécialité nous semble un peu
surestimée. Il n’en est pas autant du khao soi,
originaire du
nord-ouest de la Thaïlande et d’influence clairement « thaïe-musulmane
». Il s’agit d’une combinaison de nouilles de blé, de poulet cuit dans une
sauce à base de curry rouge spécialement aromatisé et de lait de coco, et
de divers condiments : feuilles de moutarde chinoise en saumure,
nouilles frites croustillantes, citron vert, chili, échalotes ciselées.
Ce plat éveille un certain consensus : tout le monde adore. Mais tout
le monde ne s’accorde pas forcément sur les manières de le préparer.
À
la suite de ces échanges, et de manière un peu inattendue, le ton fait
mine de monter entre Austin (farang mais vivant à Bangkok) et Onigiri
(thaïlandaise mais vivant en Iowa). Il semble que quelques échanges
d’e-mails en aient été la cause, Onigiri expliquant à Austin qu’elle
n’imagine pas un farang capable de concocter un meilleur khao soi qu’un natif
ou une native du royaume de Siam.
Bien évidemment, Austin (qui
touche sa bille en cuisine et tout particulièrement en cuisine thaïe)
prend la mouche ; quant à Onigiri, elle se sent tout naturellement mise
en demeure de défendre l’honneur des cuisinières thaïlandaises contre
les velléités des expats farangs, et c’est ainsi que la bataille du
khao soi est déclarée.
Il est décidé que chacun des participants, en
l’occurrence Austin et Onigiri, confectionneront chacun un khao soi et
posteront le déroulement de la recette, ainsi que l’image du résultat,
sur leur blog, avec liens et photos sur eGullet.
Austin démarre sec
par la préparation d’une pâte de curry adaptée au khao soi. Curcuma
frais, gingembre, chilis rouges, une épice mystérieuse appelée cha ko,
échalotes, etc. Vous trouverez tout sur eGullet et sur le blog
d’Austin. Onigiri, quant à elle, prend une sage décision : celle de
choisir la recette de Pim. Toutefois Pim ne donne pas de recette pour
le curry rouge qui entre dans la composition de son khao soi, et
Onigiri, détail fatal, utilise une pâte de curry rouge achetée dans le
commerce…
Ci-dessus, le khao soi d'Onigiri. Ci-dessous, celui d'Austin.
Cet élément fera toute la différence et départagera (provisoirement) les concurrents : la vaillance au mortier d’Austin a influencé favorablement le (peu nombreux) jury de membres d’eGullet, qui estime avec quelque raison que si l’une des parties s’est donné la peine de fabriquer une pâte de curry à partir de zéro, elle possède un avantage incontestable sur l’autre partie.
Oui mais voilà, Ptipois assistait au combat. Deux concurrents, se dit-elle, ça fait minable. Un troisième élément s’impose. Et ce sera elle ! Solennellement, mais un peu à côté de la plaque (elle ne pourra rassembler les ingrédients et les ustensiles que quelques jours plus tard), elle annonce sa participation, déclaration accueillie avec enthousiasme par Onigiri et Austin. Un enthousiasme nuancé pour Austin, qui se demande déjà s’il est opportun d’avoir peur, mais franc et lumineux pour Onigiri qui — solidarité féminine, amour du jeu ? — salue mon entrée dans la bataille par de chaleureux encouragements. Go Ptipois! dit-elle. Khap khun khaa, Onigiri !
Cependant, une chose paraît déjà évidente : vu les résultats déjà
enregistrés, si j'ai l'intention de participer dignement, la confection
de la pâte de curry est une épreuve incontournable. Ça tombe bien, ça
faisait longtemps que je devais
acheter un krok et un saak, c’est-à-dire un lourd mortier thaï
accompagné de son non moins lourd pilon, tous deux en granit. À nous
deux, treizième arrondissement de Paris ! Mais il me faudra en réalité
deux expéditions pour tout rassembler, compte tenu de la fermeture
quasi universelle des commerces alimentaires le lundi et de la
difficulté à trouver certains ingrédients, notamment les racines de coriandre et un mortier de taille confortable.
Le lundi, je trouve donc le
curcuma frais, le galanga, la citronnelle, le lait de coco, la moutarde chinoise, les
nouilles ba mi, les citrons makrut, les chilis rouges séchés, les
citrons verts. Paristore et le grand Tang de l’avenue
d’Ivry sont fermés ; ce n’est que le lendemain que je rentrerai chez
moi lestée du krok et du saak (taille 6), de l’ail, des échalotes, du
poulet, des racines de coriandre, etc. Plus rien ne m’empêche, désormais, de préparer la pâte de
curry rouge.
Oui, mais quelle pâte de curry rouge ? Heureusement, la
bonne fée Pim (actuellement à Bangkok), à portée
d’e-mail, me communique quelques judicieux conseils :
elle non plus n’a pas actuellement accès à sa recette de curry rouge,
mais je peux exécuter la recette de curry panang présente sur son site.
Et je peux aussi abréger le protocole en faisant rôtir les chilis
rouges, en retirant leurs graines et en les pulvérisant.
Je décide
de mon côté d’ajouter à cette recette de curry panang une noix de
curcuma frais, un détail qui m’a plu dans la recette d’Austin. En plus,
j’ai réussi à identifier le cha ko dont parle ce dernier : c’est tout
simplement de la cardamome noire, la fabuleuse épice qui pue des pieds. Comme, à vue de nez, ses cardamomes
sont assez grosses, et que j’aime la cardamome noire, je prélèverai les
graines de trois gousses.
Comme je manque de temps, ma contribution
sera présentée en deux parties : la confection de la pâte de curry ce
soir, et demain celle du khao soi proprement dit.
Cet instant marque donc l’entrée de Ptipois dans la guerre du khao soi. Rendez-vous au prochain post.