Des cieux plus froids
Retour vers Paris, que j'espère le moins mouvementé possible, à bord
d'un aéronef de la compagnie aérienne du père Noël. Ce qui n'autorise
personne à y croire pour autant (au père Noël). C'est ce que je me dis
peu avant d'embarquer. Je n'ai pas tort : déjà, pour un motif
météorologique, le décollage de Bangkok n'a pas lieu avant une heure et
demie de retard sur l'horaire. Or j'ai une correspondance à Helsinki
qui ne me laisse que vingt-cinq minutes pour galoper vers la porte
d'embarquement. Ça va être juste.
Mais
il est dit que les dieux vont
me sourire tout de même : l'avion est archi-plein, sauf ma rangée de
fauteuils. Ma rangée de trois fauteuils. Il n'y en a qu'un d'occupé. Le
mien. Bref : j'ai une rangée de trois fauteuils pour moi toute seule.
J'en suis presque à demander au petit Jésus si j'ai le droit d'en
profiter. Et
j'en profite : je passerai une bonne partie du vol endormie, le chef
appuyé sur de mols coussins, une couverture duveteuse sur les petons,
et les regards envieux de tout le reste de l'avion braqués sur moi.
Je ne me réveillerai que pour admirer de temps en temps le paysage. Ici, les étendues énigmatiques, glacées et désolées de la mer d'Aral, qu'on dit morte ou mourante. Je regarde attentivement et je constate. Là où le sol n'est pas couvert de glace, tout est gris, bourbeux, dénudé, mais surtout sans la moindre trace de vie. On a l'impression de voir une région de la terre qui a été mise hors service par cause d'usage abusif, et il semblerait que ce soit le cas (catastrophe écologique). Le temps est très clair, on distingue chaque détail. Rien, à perte de vue, qui témoigne d'une présence humaine. C'est très bizarre. Mue par un sens de l'à-propos musical, je saisis mon iPod et je me plante dans les oreilles Geogaddi, de Boards of Canada. Jamais cette musique n'a autant été de circonstance.
Et puis je me rendors. J'ouvre l'œil pour regarder Gene Hackman faire le méchant très méchant (un régal) dans Runaway Jury. Nonobstant les plateaux-repas, comme d'habitude désastreux, ce vol est un rêve.
Pourtant,
j'ai beau me sentir reposer sur les moelleux duvets célestes, il y a
une vérité que je dois regarder en face. Le vol a tout de même une
heure et demie de retard. Ça veut dire correspondance ratée. Et de deux
choses l'une... Je me dis alors que je n'ai jamais passé une nuit
d'hôtel à Helsinki et que, tiens, j'aimerais bien essayer.
Eh bien, savez-vous que je n'ai pas tardé à être exaucée.
"Vous
avez été mise sur le vol de demain matin, 7 h 35. Il n'y a plus de vol
pour Paris ce soir. Nous vous avons réservé une chambre d'hôtel, la
prochaine navette part dans quinze minutes. Vous pouvez récupérer votre
sac sur le tapis roulant."
Mais sur tapis roulant, de sac à Ptipois
point il n'y a ; je ne suis qu'à moitié étonnée. L'hôtesse m'assure
qu'on le récupérera et qu'on me le portera à l'hôtel. Ce qui me permet
de me concentrer sur la navette.
La navette de l'hôtel, c'est ici que je l'attends. Note : cette photo n'a strictement aucun intérêt tant que je ne vous ai pas dit que j'attends par —3 degrés Celsius et pieds nus dans des Birkenstocks. Tout baigne.
L'hôtel est une espèce de grand silo high-tech assez bien conçu, à l'architecture audacieuse par endroits, glaciale à d'autres. Les chambres sont distribuées autour d'un grand vide central que l'on découvre d'un ascenseur de verre. Les couloirs, c'est Alphaville.
Mais le vide central, donnant sur le bar-restaurant et la réception, c'est du Fritz Lang. Épuisée, je m'endors vers 19 heures, et me fais réveiller vers 21 heures pour récupérer mon sac. Le lendemain, c'est-à-dire ce matin à 6 heures, à moitié reposée, je reprends l'avion pour Paris. Je n'ai pas vu grand-chose de la Finlande, mais le peu que j'ai vu me donne envie d'en connaître davantage. Tout le monde a été charmant et le pays a l'air très cool.