J'aimerais parler d'un thé
Pas de thé en général, mais d'un thé.
Cela ne vous est peut-être pas apparu, même si vous suivez ce blog depuis le début (veinards !) : Ptipois adore le thé. J'ai longtemps été une buveuse de thé noir, notamment de darjeeling — sans avoir nécessairement recherché les grands crus. Depuis deux ans, je m'intéresse aux thés de Chine, et cet intérêt va croissant. J'ai commencé par mesurer la différence énorme entre les thés au jasmin bas de gamme servi dans les restaurants (ceux qui font mal à la tête) et le vrai thé vert au jasmin, celui dont on fait sécher les feuilles entremêlées de grappes florales retirées en fin de séchage pour modérer l'arôme. Une amie m'a un soir fait goûter un ying zheng (aiguilles d'argent) au jasmin, correctement infusé (eau à 75°C, infusion 13-14 minutes), et j'ai alors compris ce que pouvait être cette boisson.
Je me suis d'abord intéressée aux thés pu-erh, sur lesquels je reviendrai (c'est tout un monde). J'étais attirée par les oolongs, mais leur complexité, leur diversité, et surtout les prix élevés des plus belles variétés taïwanaises me rebutaient un peu. Et puis un matin, en novembre dernier, je me suis trouvée à Shanghai, au marché alimentaire central. À une extrémité de ce marché sont installées les boutiques d'herbes et de thés. Je me suis arrêtée devant l'une d'elles, tenue par un jeune homme plein de charme.
Il me présenta du thé long jing, le puits-de-dragon aux longues feuilles laminées qui est un des thés verts les plus appréciés dans la région. Je n'avais pas le temps de m'attarder dans sa boutique, alors j'achetai quelques centaines de grammes de ce thé qui sentait bon la verdure fraîche. Il me vint une idée, elle se condensa en un mot — wulong ? — d'un ton interrogatif. Je savais que Shanghai n'était pas le meilleur endroit pour acheter du thé wulong, mais j'avais un bon feeling avec ce garçon, qui manifestement proposait peu de thés mais des bons. Son visage s'illumina ; il se retourna, prit une grosse boîte sur une étagère, l'ouvrit et m'invita à y plonger le nez. Je me sentis précipitée dans une forêt de plantes précieuses et de fleurs rares, leurs odeurs reposant sur un matelas d'humus fertile. Il y avait même le parfum d'une grotte, quelque chose de minéral, des notes d'algues. Le thé se présentait en feuilles roulées, vert épinard, qui semblaient garder un peu de fraîcheur humide, bien que la récolte remontât certainement à plusieurs mois. J'emportai une grande quantité de ce thé fabuleux, qui d'ailleurs n'était pas donné.
De retour à Paris (je ne voulais pas sacrifier la moindre de ces feuilles à l'eau impure des robinets shanghaïens), je tentai une infusion de ce wulong. Au bout de trois minutes, le couvercle de la théière, à peine soulevé, libérait des parfums de fleurs. On se serait cru dans une serre de gardénias et de chèvrefeuilles. Au palais, les mêmes notes florales persistaient. La première infusion était un peu brutale ; si l'eau était trop chaude, le thé "brûlait" facilement. C'était un wulong délicat, qui se comportait un peu comme un thé vert. La deuxième infusion se tenait déjà mieux ; à la troisième, on avait un équilibre parfait. Le thé commençait à faiblir à la cinquième infusion.
Je n'ai pas demandé au marchand quelle variété de wulong il m'avait vendue. Ce thé me rappelle certains oolongs de Taïwan très coûteux, peut-être un dong ding. Mais je doute qu'on trouve à Shanghai des thés importés de Taiwan. Je chercherai confirmation au prochain voyage, qui ne devrait plus tarder maintenant. Vu l'aspect des feuilles roulées, leur odeur et les parfums sublimes de l'infusion, c'est peut-être un dong ding tieguanyin du Fujian. Les paris sont ouverts (je publierai des photos de ce thé demain matin).
Quand je regarde un jardin à la française, particulièrement au printemps, quand les buis sont jeunes et bien taillés — comme cet après-midi près de l'hôtel de Sens —, je pense aux champs de thé en Chine ou au Japon.