Un dîner chez Matsuri
Hier soir, nous avons dîné à trois chez Matsuri, rue de Richelieu.
Matsuri est un cas. C'est un restaurant dont je peux dire du mal, et
pourtant j'adore y retourner. D'abord, le mal : ça coûte la peau des
fesses ; les assiettes (pas seulement de sushi, heureusement
d'ailleurs) passant sur un tapis roulant sont tarifées selon un code
couleur qu'il vaut mieux mémoriser dès le début pour ne pas se
retrouver avec une addition de cinquante euros par tête pour des
appétits non surhumains. Si on craque trop pour les assiettes à bord
noir (et il est difficile de résister à ce qu'il y a dessus), c'est
mauvais signe. Autre raison de médire : voir passer des plats sur le
tapis roulant, c'est sympa, mais encore faut-il savoir combien de tours
a fait cette assiette de negima (brochettes de poulet) ou de sashimi de saumon, si ces tsukune
(boulettes de poulet) sont encore chaudes et si le gingembre dont on a
parsemé le maquereau mariné n'a pas eu le temps de s'éventer.
Mais
j'adore aller chez Matsuri, malgré les réserves décrites ci-dessus, du
moins quand il y a des sous sur le compte en banque. Une fois qu'on
sait que ça va douiller, on y va en pleine connaissance de cause, et
vas-y Léon, lâche-toi. C'est formidable de ne pas choisir ce qu'on va
manger sur une carte ou sur un menu, mais de le découvrir au fur et à
mesure du repas et de le ramasser au moment où il passe. On se sent
barboter avec joie dans les émotions antiques, puissantes et
fondamentales des chasseurs-cueilleurs dont nous descendons tous. C'est
comme trouver des cèpes au pied d'un chêne ou ramener plein de
crevettes dans son filet. L'instinct du guetteur ajoute à l'excitation
: on laisse passer quelques sushis qui ne nous intéressent pas, et puis
hop ! toi, je t'ai repéré, je tends le bras, je te tiens. Au besoin, on
attend le temps qu'il faut, on n'est pas pressé (même si on a faim),
bientôt des assiettes épatantes viendront rallier la cohorte des sushis
qui ont trop d'heure de vol, et on aura peut-être même la chance
d'alpaguer un tempura de crevettes tout chaud avant que la quinzaine de
clients assis devant nous n'aient eu l'idée de lui régler son sort.
Bref, une soirée au Matsuri fait de nous un être hybride tenant à la
fois du guetteur sioux, du pêcheur à la ligne, de l'adepte des jeux
vidéo (le tapis roulant chargé d'assiettes est une sorte de Space
Invaders gastronomique) et du client de stand de tir. Finalement, ce
n'est peut-être pas si cher payé pour incarner tous ces personnages,
même si la préparation des plats est un peu inégale. Les sushi sont
corrects mais pas bouleversants, les sashimi sont un peu insuffisants
en variété, en revanche les autres plats sortent de l'ordinaire et je
pourrais même dire que ce sont eux qui font de Matsuri un bon
restaurant. Il faut guetter ce qu'il y a dans les bols : ça vaut le
coup. Salades d'algues, légumes étuvés au shoyu, et toujours des edamame
(haricots en cosse). Les fritures (tempura, poulet, maki-tempura) sont
bonnes à condition de les attraper encore chaudes. Mais - et ceux qui
gardent des idées reçues à propos de la cuisine japonaise auront du mal
à me croire - ce qu'il y a encore de meilleur chez Matsuri, ce sont les
desserts. Je ne parle pas des litchis au sirop sortis d'une boîte qu'on
aurait pu ouvrir chez soi, mais de l'annindofu
(gelée aux amandes, en réalité aux noyaux d'abricots) en salade de
fruits secs et d'un remarquable cake au matcha, qui malheureusement
n'était pas disponible ce soir-là.