750 grammes
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chez ptipois
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4 septembre 2011

St. John Bread and Wine, London

fleurs

Pub à Chiswick.

Il a fait un drôle d'été à Paris. Il n'a pas vraiment commencé et il n'en finit pas de finir. Et de toute façon, je ne l'ai pas vu passer, entre les voyages de tournage et de repérage et quelques charrettes qui me sont tombées sur le poil pour cause de défaillance de quelques maillons de chaîne éditoriale. Pas de détente, pas de récupération, tout juste cette semaine à Londres entre le 20 et le 27 août. Je ne m'attendais pas à y trouver du repos car mon agenda restaurants était déjà quasi plein avant mon départ. Comme me l'écrivait Vanessa avant de me recevoir chez elle, "C'est au retour que tu auras besoin de vacances." Oh oui. Mais si je ne me suis pas vraiment reposée, je me suis bien rincé l'intérieur de la tête. La détente morale, c'est aussi salutaire que le repos physique. Et même si, sur le coup, j'ai pensé que beaucoup de mon temps se passait en transports en commun (bus, tube, overground...), c'étaient à chaque fois des voyages rêveurs, la contemplation de la verdure sous la pluie ; bref quelques jours rafraîchissants.

geffrye

The Geffrye Museum of the Home, musée de la vie domestique installé à Shoreditch
dans un ancien hospice du XVIIe siècle.

Nous avions commencé la balade à East Ham. Vous imaginez qu'on ne s'est pas arrêtées aux dosa et au mishti doi. En quelques jours, j'ai pu visiter une petite poignée de restaurants, et non des moindres : dans l'ordre, St John Bread and Wine, The Sportsman, Hedone, The Petersham Nurseries, Khaosarn à Brixton Market et Hawksmoor Seven Dials. Pas un seul repas raté parmi ces six-là : on ne peut pas souvent en dire autant, y compris à Paris. Cela dit je n'avançais pas précisément dans le brouillard, bénéficiant sur place des meilleurs éclaireurs. Ces repas seront évoqués par ordre chronologique, un post à la fois.

st john

St. John Bread and Wine, à Shoreditch, juste en face de Spitalfields Market. Réservations : 020 3301 8069. 94-96 Commercial Street, London E1 6LZ. Tube Liverpool Street, Shoreditch High Street.

Pour Grands Crus classés, Grands Chefs étoilés, j'avais sollicité de quelques chefs une recette d'accord mets-vin pour médoc ou sauternes. Fergus Henderson, chef de St John, nous avait envoyé une épaule d'agneau rôtie à basse température rédigée de sa main en termes si amoureux et si touchants que j'en étais restée admirative. Des conseils, pas une recette : ce que toutes les recettes devraient être. J'ai compris que j'avais affaire non seulement à un type adorable, mais aussi à un rôtisseur. Depuis l'ouverture du restaurant en 1994, j'ai toujours rêvé de visiter un de ses établissements. Et ce lundi 22 août, après une petite balade sous une pluie douce, nous avons déjeuné à St John Bread and Wine.

StJ-pain`

Le pain maison est réputé : avant d'être un restaurant, le lieu abritait les activités boulangères de la maison mère. Il est toujours célèbre pour ses breakfasts. Le pain est en effet remarquable, panifié sur levain à fermentation lente, avec une fine acidité et une texture élastique mais sans excès. Le service du pain, avec son beau cube de beurre, met en confiance et confirme la simplicité qui caractérise le lieu, le décor, les assiettes, les plats. 
J'aime les cuisines britanniques traditionnelles justement pour cela : pour cette harmonie entre la simplicité des préparations et la richesse des produits. Elles sont hautes en goût, terriennes, régionales… Cette description rappelle une certaine cuisine française menacée ? C'est normal. Les gastronomies de terroir, sans être identiques les unes aux autres, se rejoignent par leurs principes. St. John est un excellent endroit pour apprécier cette simplicité. 

StJ-truite

Nous avons choisi de commander plusieurs petits plats et un plus grand, et de partager à la chinoise. Nous commençons par une délicieuse truite en gravlax accompagnée de concombres à la moutarde et à l'aneth. La simplicité, ce n'est pas seulement bon : ça fait aussi de belles photos, parce que pour faire simple en cuisine il faut des produits exceptionnels, or les produits exceptionnels sont beaux et photogéniques. C'est aussi simple que ça. Et c'est, à mon avis, la moitié de tout ce que vous devez savoir sur la photographie culinaire.

StJ-soupe

Il est très rare que je poste ici plusieurs photos du même plat, mais St. John sera l'exception, parce qu'il faut examiner les mets en profondeur. Ils n'ont jamais une seule dimension, ils sont à admirer globalement et dans le détail. Cette soupe de persil au jambon m'a complètement bluffée, car c'était une réussite à tous points de vue, se payant même le luxe de petites touches de génie. La soupe de persil thermomixée est légèrement épaissie (tapioca ? Maïzena ? Je n'ai pas trouvé), mais non crémée afin de préserver la saveur franche de l'herbe. C'est à la fois réchauffant et rafraîchissant. Et le jambon annoncé sur la carte est en fait une sorte de rillette de jambon, de longues fibres de porc émiettées.

StJ-ham

Regardez-moi un peu ça et osez me dire que vous n'avez pas faim, tout d'un coup. C'est rissolé, croustillant, confit, c'est du concentré de saveur, la quintessence de la cochonnitude. C'est phénoménal. Est-ce que j'écris ça souvent, "c'est phénoménal" ? Non.
Excusez-moi d'y revenir, mais n'importe quel crétin aurait mis de la crème dans cette soupe. Je salue le cuistot avisé qui a décidé de ne pas en mettre, car le rapport gustatif entre la légère amertume de la verdure (qu'une cuillerée de crème aurait flinguée) et l'hypercochonnité du jambon croustillant est un vrai miracle. Il y a ici une sacrée réflexion sur les produits, les saveurs, et la relation entre les deux (au cas où certains l'oublieraient — et certains l'oublient —, cette relation s'appelle la cuisine).

StJ-mutton

On ne peut pas dire que ce plat soit beau, mais je suis en mesure de préciser qu'il était sacrément bon. Mouton, laverbread, pommes de terre. Le mouton (et non pas l'agneau) est archiconfit, comme le jambon du plat précédent. Il est cuit avec du laverbread, une algue rouge traditionnellement consommée dans l'ouest du pays (c'est le nori japonais). La cuisson très longue du mouton avec l'algue a produit un jus ineffable, chargé de saveur à la fois marine et terrienne, où les pommes de terre se prélassent très satisfaites. Quelques feuilles de cresson contribuent à l'harmonie. C'est bon, mais le jus est phénoménal. Je l'ai déjà dit ? Tant pis.

StJ-plaice

On continue avec un carrelet entier (plaice, brown butter, sea beet). Quand j'ai vu ça sur la carte, j'ai bondi dessus, parce qu'en France on dédaigne le carrelet et en Angleterre on l'adore. Et ce qu'on adore, on le traite correctement. C'était à prévoir, ce poisson entier, non pelé, parfaitement cuit, est traité avec tous les égards qu'il mérite. Il est assaisonné d'un abondant beurre noisette, de petites câpres et d'une tombée de sea beet, c'est-à-dire de betterave maritime. L'ancêtre, dit-on, de toutes les bettes et betteraves, sauvage et récoltée en bord de mer. Cette plante apporte une merveilleuse acidité, riche et fruitée, je dirais presque framboisée. C'est une révélation. Nous nous régalons.

StJ-câpres

Un petit détail de la garniture de câpres et de betterave maritime... Entre parenthèses , il faut un certain culot pour servir un poisson ainsi, entier, sans artifices, juste garni de quelques végétaux. C'est une réflexion de Parisienne, je sais, mais en France pratiquement plus personne n'ose servir le poisson ainsi au restaurant, et je le regrette. Et même quand on vous le cuit entier, on vous l'épluche hors de votre portée, soustrayant à votre gourmandise les parties intéressantes (les nageoires, les joues, les œufs, les petits machins qui croquent…). Et le plaisir de désintégrer son poisson soi-même ?

StJ-plaice3

Le carrelet retourné pour manger l'autre côté prend des allures de Chardin. Encore une démonstration de la beauté plastique des beaux produits.

StJ-plaice4

Terminus, tout le monde descend. Nous avons carrément ratiboisé cette plie. Et ne me dites pas que nous en laissons des petits bouts, là, au bord, parce que dans quelques secondes on aura tout mangé les petits bouts, comme le reste.

StJ-eccles1

Après cela, vous vous attendriez à ce qu'on dise : "C'est bon, un café et l'addition, on a assez mangé." C'est mal nous connaître mais aussi c'est méconnaître le pouvoir appétissant de ce qui est bon. Oui, il y a encore room for pudding. Sans savoir ce qui m'attend, je commande l'Eccles cake and Lancashire cheese. Ce n'est pas un fromage-et-dessert, c'est un repas entier que je vois atterrir devant moi.

StJ-eccles2

L'Eccles Cake est énorme, rebondi, feuilleté, beurré, et renferme dans sa panse une grosse quantité de raisins de Corinthe. L'alliance avec le lancashire est superbe, mais tout cela est un peu trop et nous décidons de l'emporter en doggy bag afin de nous concentrer sur l'autre dessert. À propos duquel je préfère m'assurer que vous êtes assis.

StJ-etonmess

Eton Mess au cassis, voilà ce qu'est cette masse venue d'un autre monde. Totalement fin XVIIIe siècle, un peu médiévale aussi, c'est un Tintagel, une forteresse de meringue, de crème fouettée et de baies de cassis que nous attaquons chacune armée d'une cuillère. L'Eton Mess se prépare plus couramment avec des fruits rouges — fraises ou framboises — mais, comme l'observe Vanessa, le cassis est vraiment le fruit idéal à accommoder ainsi. Nous avons tout mangé, et même pas honte. Est-il besoin d'ajouter quelque chose ? La suite au prochain post.

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Commentaires
S
ravie que canalblog ait mis ton blog à la une, tes photos donnent des idées pour des repas futurs, et surtout ça donne faim
P
Merci de ce commentaire très touchant qui me fait rougir jusqu'au bout des cheveux, chère Madame Marie-Claire !
M
Chère Madame Ptipois,<br /> Quand je lis ce billet, je me délecte des mots, j'imagine les saveurs, je hume les parfums, je croque les croustillances, je lappe les soupes et les sauces, je déguste chacune de vos virgules, parce que le plaisir n'est pas seulement gustatif, mais aussi dans la justesse de vos propos qui égratigne les modes et fait fi des "tendances". C'est le cas aussi des relations de vos voyages en Chine, et je sens qu'en vous rien, mais alors rien n'est superficiel, et chère Madame Ptipois, je vous trouve éminemment sympathique.
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