"À pleine bouche", le dernier livre de Gilles Choukroun
Il est paru le 7 octobre. À pleine bouche, ultrasensuelle gourmandise est le dernier livre de Gilles Choukroun : quarante recettes tout en chair et en arômes, en audace et en sagesse, en fougue et en méditation. Avec cet ouvrage, Gilles arrive à la pleine maturité de son propos et maîtrise tous les éléments de son inspiration. Patrick Aufauvre a réalisé les photos, je me suis chargée du stylisme et de la mise en forme des recettes en compagnie de Gilles. Un chef dont je connaissais très peu la cuisine. Je n'étais allée ni au Café des Délices, ni à Angl'Opéra, ni au Mini-Palais. En 2006, nous avions travaillé ensemble sur Cantines, recettes cultes corrigées par les chefs de Sébastien Demorand et Emmanuel Rubin, mais toujours par e-mail ou téléphone interposé. En mars 2010, tous deux mis en relation par les éditions de La Martinière-Atelier Saveurs, il s'agit donc d'une rencontre. Ce sera une vraie rencontre.
On aimerait que toute notre vie se passe comme certains projets. Ce printemps et ce début d'été 2010, j'en ai eu deux que je peux décrire ainsi. Dans un contexte pas toujours facile, ce sont des jobs comme ceux-là qui font passer la pilule, redonnent des couleurs à la vie. La pente est raide ? Créer, communiquer, travailler en équipe, c'est la solution. Et comme à ce moment la force me manquait, c'est l'élan et l'harmonie générés par cette collaboration avec Gilles, Patrick, Florence et Laure (de La Martinière) qui me l'ont tout naturellement rendue. Donc, en mars 2010, je découvre un cuisinier fascinant, chaleureux, en recherche perpétuelle, en réflexion permanente. Le courant passe immédiatement, auquel s'ajoutent l'amitié et le talent de Patrick. C'est un privilège rare que de pouvoir travailler ainsi.
Je découvre aussi le style très particulier de Gilles Choukroun, sa
recherche, sa démarche. Elle ne comporte aucune obscurité, elle est
parfaitement logique bien qu'iconoclaste, elle pousse le bouchon en
toute maîtrise de soi. Gilles, c'est le spécialiste des accords
gustatifs dont on se dit sur le papier "ça ne peut pas marcher" et qui
nous ravissent dans l'assiette. Les tendances sont claires, les courants
d'inspiration - maghrébine, sud-est-asiatique, graffiti, art
contemporain - s'expriment de façon surprenante mais toujours
pertinente, cimentés par la sensualité et la gourmandise, thèmes
centraux de toutes ces recettes. Ce n'est pas par hasard ou pour l'épate
que l'huître crue voisine avec le hareng fumé ou que le foie gras poêlé
s'associe au cornichon malossol et à la purée d'abricot : en bouche, ça
tombe sous le sens. C'est de la haute voltige qui retombe sur ses pattes.
Depuis février 2009, Gilles a ouvert son restaurant MBC (menthe, basilic, coriandre). Un trio d'herbes qui signe ses plats depuis une dizaine d'années. Je les ai associés plusieurs fois sur les assiettes, en pluches, en chiffonade, ou dans les délicieux rouleaux de foie gras façon nem.
Vous trouverez ci-dessous un making of de quelques photos et recettes du livre. J'espère qu'il vous incitera à vous offrir et à offrir le très beau livre de Gilles Choukroun, de surcroît doté d'une maquette superbe, et j'espère aussi que ce livre vous donnera autant de plaisir que nous avons eu à le faire. Je tiens à préciser que les recettes sont toutes d'une étonnante facilité d'exécution. Elles sont vraiment à la portée de tous. Je peux le dire, je les ai faites.
Toutes les photos : © Patrick Aufauvre.
Anarchitextures de bœuf.
De toutes les recettes, celle-ci fut la plus facile à assembler. Mais en tant que plat, c'est loin d'être simple. L'harmonie est obtenue à la serpe, mais avec précision. Les ingrédients parlent d'eux-mêmes : copeau congelé de cœur de rumsteak cru, dattes medjoul légèrement brûlées au chalumeau, cecina (bœuf séché espagnol au goût long et dense), algue kombu conservée au sel, huile d'argan et quelques pousses de petit pois pour la touche de fraîcheur indispensable dans cette réunion de saveurs fortes. L'harmonie est surprenante, à la fois hussarde et délicate : Gilles est un des très rares chefs qui savent jouer non seulement des goûts et des textures mais aussi des températures comme éléments de la palette d'un plat. Ces anarchitextures en sont un parfait exemple. Un plat de samouraï, de cosaque, à servir à la noce d'une princesse guerrière.
Figues rôties, yaourt de chèvre, granité Schweppes-Campari.
Avec Gilles, sucré et salé ne sont pas toujours rangés à leur place - le premier sur l'étagère des desserts, le second sur celle des plats et des entrées. C'est avant tout une question d'équilibre, et l'équilibre n'a que faire des conventions. Les desserts de Gilles, d'ailleurs, sont peu sucrés afin de laisser éclater la saveur. Ici, la volupté des figues fraîches est soulignée par le cumin et le jus de citron vert légèrement miellé, par le lacté aigrelet du yaourt de chèvre, et le tout reçoit une grande claque : la fraîcheur d'un granité au Campari. C'est somptueux.
Chair de langoustine, betterave-griotte.
Brioche toastée-émiettée et cerise mûre pour le goût beurré et l'acidulé fruité, jus de griotte, le croquant un peu gras de la chair de langoustine crue, huile d'olive de Sicile. Les bâtonnets de betterave tonda di Chioggia crue, tout en faisant leur effet sucre d'orge, apportent un goût terrien qui ancre le plat au sol, entre gourmandise enfantine et plaisir primal. C'est, en définitive, le beurré de la brioche qui domine.
Merlan de ligne et arête à croquer, clémentine, chorizo.
Je ne pouvais pas y résister, à celle-ci, il fallait que j'en parle. Pour la réaliser, il vous faudra trouver des merlans "brillants" de toute première fraîcheur, pêchés à la ligne et donc la peau intacte (le chalut les râpe et les ternit). Tandis que les filets (à la peau) sont poêlés avec circonspection (la chair doit rester translucide et nacrée), l'arête centrale est frite croustillante, oui, on mange tout. C'est accompagné de demi-clémentines brûlées au chalumeau (ce qui fait ressortir le sucre et le jus), de jeunes carottes et de chorizo ibérico. Un plat délicat, doté d'une grande richesse de goût et de textures. Et une splendeur dans l'assiette.
À pleine bouche, ultrasensuelle gourmandise, de Gilles Choukroun. Photographies : Patrick Aufauvre, conception graphique et illustrations : La Tête Moderne, rédaction et stylisme : Sophie Brissaud. Éditions de La Martinière - Atelier Saveurs.
Restaurant MBC - Gilles Choukroun, 4, rue du Débarcadère, Paris 17e. Tél. 01 45 72 22 55. Fermé samedi midi et dimanche.