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31 décembre 2009

Veille de lendemain de fête, version Le Monde

beuark

Il ne manquait plus que ça : Le Monde donne des conseils anti-gueule de bois. Ce soir, une amie attire mon attention vers cet article. Avant même de le découvrir, je sens qu'on va passer quelques minutes très cocasses. Mon intuition se révèle juste, c'est effectivement très rigolo. Du pur Le Monde, un peu nunuche et à côté de la plaque quand il s'aventure hors de sa zone de confort, et visiblement écrit par des journalistes qui n'ont jamais pris une cuite de leur vie. Les premières lignes suggèrent que l'auteur de l'article s'est documenté auprès de vrais gens qui ont eu de vraies gueules de bois mais que l'expérience directe laisse à désirer. Note au Monde : pour assurer sur ce genre de papier, les buveurs d'Actimel, c'est pas l'idéal.

La presse approximative que notre époque chérit procède de recettes strictes : ne jamais prendre de risque, donc ne jamais informer réellement. Après cinq premières lignes consacrées à camper le décor, ne pas oublier de mettre un peu d'étymologie là-dessus. Un peu de grec c'est bien, mais là en l'occurrence on a le norvégien qui s'en mêle et c'est encore mieux (les Norvégiens s'y connaissent, paraît-il), mais notez que pour ne pas paraphraser le titre de l'article on traduit kveis (notez la similitude avec "cuite", vous voyez, moi aussi je fais philologue quand je veux) par "inconfort succédant à la débauche" plutôt que "gueule de bois" tout simplement. Je ne sais pas si c'est subtilement ironique ou franchement culcul-la-praline, mais voilà. Je pense pour ma part que celui qui a inventé le terme pédant, inutile, lexicalement aberrant (puisqu'il veut dire littéralement "mal à la cuite") et malaisé à prononcer de veisalgie était, lui, carrément bourré ce jour-là.

On sent dès le deuxième paragraphe que les "recettes de grand-mère à l'efficacité forcément prouvée" vont très vite s'en prendre plein la gueule, suivant un principe de la presse contemporaine exigeant que tout ce qui est traditionnel et populaire doive être combattu (de préférence au profit d'un discours scientifico-médiatique fluctuant, contradictoire et mal assuré sur ses pattes). Autrement dit : vous espériez vous en tirer avec vos rince-cochon ? Allez mourir. D'ailleurs on vous met en garde : ni citron pressé, ni léger apport d'alcool pour compenser la chute brutale de l'alcoolémie, ni manger un bout, ni cachet d'aspirine. Et les petites concoctions qui ont remis sur pied des générations d'Irlandais (pour choisir un exemple éloquent) sont à reléguer dans la catégorie des chimères sans consistance. Pour qu'un usage alimentaire ou culturel soit acceptable, il faut qu'il soit agréé par le système moral de l'époque. On va vous donner du vrai, du solide, du cautionné.

Le premier conseil a toutes les apparences de la rationalité : boire des litres d'eau. Avant le réveillon, pendant le réveillon, après le réveillon. À ceci près : vous en connaissez beaucoup, vous, qui boivent beaucoup d'eau pendant un réveillon ? Moi pas. Vous trouvez ça praticable? Pas davantage. En fait les vins en accompagnement de mets riches tels qu'huîtres ou foie gras me paraissent une bien meilleure idée que l'eau froide qui fige les graisses et noie l'estomac. Donc : boire beaucoup d'eau pendant un réveillon ? Fausse bonne idée. Après, si vous voulez : ça draine l'organisme et ça ne peut pas faire de mal.

Abordons le cœur du sujet. L'auteur a demandé conseil à trois spécialistes : un nuritionniste, une spécialiste de la médecine chinoise et une praticienne du centre antipoison de Lille.
Avertissement : je déclare être animée du plus ardent respect pour la spécialiste de la médecine chinoise et la praticienne du centre antipoison, car ce sont des gens qui savent forcément de quoi ils parlent. La médecine chinoise, en particulier, connaît les mœurs mystérieuses du foie et de la rate comme personne. La spécialiste chinoise conseille du gouqi et du thé oolong, la saveur acide et pas de laitages. C'est en tout cas plus sympa que de suivre les conseils du nutritionniste, qui font peur (laitages 0% et fruits, re-laitages 0%, viandes blanches maigres - bien entendu - après quarante-huit heures de jeûne et de prières de contrition, et ne pas se jeter sur les reliefs du réveillon). La bonne vieille morale punitive judéochrétienne que rien ne semble pouvoir déraciner. À ce régime-là on se demande sérieusement si ça valait le coup de se saouler. Si on lit ça avant le réveillon, ça peut être considéré comme de la médecine préventive.

Soyons sérieux maintenant. Voici mes conseils anti-gueule de bois, préventifs et curatifs, garantis sans caution bien-pensante. Ceux que je n'ai pas testés personnellement sont mentionnés comme tels.

AVANT
Une bonne cuillerée à soupe d'huile d'olive lentement sirotée une heure avant le réveillon (remède remontant à l'Antiquité romaine).
Une petite salade de chou vert cru ou rapidement blanchi (non testé).

PENDANT
La notion de mélange n'est pas monolithique : ce qu'il faut, c'est ne pas mélanger les origines végétales des alcools. Par exemple éviter bière, whisky ou gin avant de passer au vin pour tout le repas. Pour le vin, on dit "blanc sur rouge rien ne bouge, rouge sur blanc tout fout l'camp", mais je n'ai jamais vérifié le bien-fondé de ce proverbe.
S'il fallait garder un seul conseil pour tout ce post, ce serait celui-ci: NE BOIRE QUE DU BON. Du très bon. Un grand pinard ne fait jamais de mal. Les grands médocs vous donneront même la pêche, et je n'ai jamais eu le moindre problème le lendemain d'un repas copieusement arrosé de bons bordeaux rouges.

APRÈS
Au réveil, vous vous rendez compte que mes conseils ont été vains. Alors dormez, c'est un remède en soi. Quand vous ne dormez pas, buvez de l'eau, mais de l'eau chaude, comme en Chine. L'eau chaude vient à bout de tout.

Le poireau aussi : Néron (très compétent côté gueules de bois) ne jurait que par lui. Nettoyez et lavez soigneusement quatre ou cinq beaux poireaux bio, gardez 15 à 20 cm de vert en plus du blanc, émincez grossièrement et préparez avec ça un bouillon d'enfer avec beaucoup d'eau filtrée et un peu de gros sel marin. Faites frémir à petit feu pendant 1 heure, à couvert. Buvez chaud, plusieurs fois par jour, en n'ingérant rien d'autre (si vous n'avez pas faim) jusqu'à ce que vous ayez retrouvé votre joie de vivre. Il n'est pas interdit d'émulsionner le bouillon avec un peu d'huile d'olive, ni de consommer les poireaux égouttés avec une petite sauce citron-huile d'olive.

Un rince-cochon, parce que j'ai un immense respect, MOI, pour les remèdes de grand-mère : un grog bien chaud sucré au miel, avec une bonne quantité de très bon rhum. Ou la même chose avec du whisky. Ou un petit verre de saké chaud. Ou le fond de cette bouteille de sauternes, s'il en reste... Ou un petit verre de Lillet blanc avec le jus de 1/2 citron vert et 1 cuillerée à café de jus de gingembre.

Jus de gingembre, tiens parlons-en : râpez un morceau de racine de gingembre, pressez le jus dans un verre à travers une petite passoire, sucrez un peu, ajoutez le jus d'un citron vert et complétez avec de l'eau gazeuse.

À propos d'eau gazeuse : buvez toute une bouteille (voire deux) de Vichy-Saint-Yorre dans la journée, mais en faisant chauffer l'eau. Quand elle passe de tiède à chaud, elle est bonne à boire.

Ce qui nous amène aux thés : le thé oolong, OK. Mais pas n'importe lequel, il existe des centaines d'oolongs. Et comme je n'ai pas le temps ce soir d'entrer dans les détails, je vous conseille de passer outre ce conseil et d'aller tout de suite droit au but : le thé qui remet les tripes à l'endroit, de préférence à tous les autres, c'est le pu-erh cuit, point barre. Faites-en une overdose ; la sensation de bien-être vient avec la première tasse. Réinfusez-le jusqu'à ce que sa couleur se soit délavée jusqu'à un léger roux feuille morte. Ça devrait déjà aller beaucoup mieux, et en plus ça fait dormir.

chrys

"Pacifier le foie et éclaircir la vision, soulager la fièvre et éliminer les toxines." Ça tombe bien, c'est ce qu'il vous faut. Et qui fait ça ? Le chrysanthème de Chine (image ci-dessus, à infuser sans sucre, dans un gaiwan). Associé à notre ami le gouqi (lycium, prononcer gow-ji) rencontré plus haut, il permet de confectionner une tisane purifiante et calmante, de surcroît délicieuse. Ce sera mon dernier remède anti-gueule-de-bois, et je vous garantis son efficacité. Il est représenté sur l'image ci-dessous, prise à Canton en octobre dernier, lorsque j'ai appris à le préparer.

gouqi

Où trouver les baies de gouqi et le chrysanthème séchés ? Tout d'abord évitez les magasins bio et les pharmacies, qui vous ruineront. Foncez dans le XIIIe, chez Tang, Paristore ou tout supermarché asiatique, et allez droit au rayon herbes séchées et substances médicinales. Vous trouverez dans le quartier des produits de bonne qualité à la pharmacie chinoise La Calebasse Verte, rue de la Vistule.
La recette :

INFUSION DE GOUQI ET DE CHRYSANTHÈME
Il vous faut un petit gaiwan par personne, chacun devant boire au sien. Rincez et videz les gaiwan. Déposez dans chacun une cuillerée à soupe rase de baies de gouqi et une cuillerée à soupe rase de fleurs de chrysanthème séchées (variété à petites fleurs). Couvrez d'eau bouillante, videz immédiatement l'eau en la filtrant avec le couvercle, puis ajoutez dans les gaiwan un morceau de sucre candi, quantité selon votre goût. Couvrez largement d'eau bouillante, posez le couvercle du gaiwan et faites-le légèrement pivoter d'un geste circulaire pour éliminer l'air en surface du liquide. Couvrez le gaiwan et laissez infuser. Quand l'infusion est tiède, buvez à même le gaiwan en vous servant du couvercle comme filtre. Vous pouvez réinfuser de nombreuses fois ces plantes et boire comme indiqué ; rajoutez un peu de sucre candi toutes les deux ou trois infusions.

Et pour finir - edit de dernière minute -, au chapitre "évitez les médocsLe Monde vous met en garde" : mon cher ami Sébastien D., qui m'avait donné en son temps la composition d'un cocktail miracle et que j'ai pourchassé par SMS la nuit dernière afin de lui faire cracher sa recette, s'est enfin exécuté au petit matin : "Rester bourré". Merci, mais t'as pas mieux ? "Citrate de bétaïne, Oxyboldine et Aspégic 1000". Ahhhhhh, merci copain, ça fait du bien ! Vous voyez pourquoi je risque de manquer de respect à la mémoire d'Hubert Beuve-Méry : les super-conseils anti-gueule de bois, pas de doute, c'est chez Ptipois' Wines.

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