L'art d'étaler le thé partout
Le thé, le thé. Le précieux tieguanyin d'Anxi, ici dans toute sa splendeur grasse et luisante (culture bio je vous prie), croissant en altitude sur les terres sablo-ferrugineuses de Longjuan. Ces feuilles sont à point, elles semblent appeler leur récolte à cor et à cri.
Et c'est le moment où jamais. Car à Anxi, on dit qu'il faut récolter le tieguanyin quand fleurit l'osmanthus. Or l'osmanthus fleurit — enchantant les jardins, les cours, les haies de sa fragrance vanillée — entre le début et la mi-octobre. C'est alors une sorte de fête intérieure : on voit des rameaux d'osmanthus aux mains des jeunes filles, pour la grâce et le parfum des fleurs mais aussi pour célébrer la cueillette du thé d'automne.
Pour accompagner comme il se doit ce noble végétal jusqu'à la fin de son conditionnement, de nombreuses opérations sont requises. Après cueillette, on étale. Il faut un léger flétrissage des feuilles, très bref, en plein air, pour éliminer toute humidité. Et comme il y a beaucoup de thé, on étale partout. Partout ou l'on a une surface plane exposée au soleil. Donc cours de ferme ou de maison familiale, voire carrément à même la route, à quelques pouces du passage des véhicules.
On étale, et on retourne, délicatement, du bout d'une longue baguette.
Une cour de temple ? Une belle surface pour étaler du thé !
Le thé mobilise les efforts de tous. Il n'y a pas d'âge pour s'initier à ses travaux.
Et tout le monde s'y intéresse. On a parfois l'air surpris quand je précise qu'il faut toujours rincer le thé à l'eau chaude avant la première infusion. J'explique alors qu'il peut arriver une infinité de choses aux feuilles avant qu'elles se retrouvent dans votre tasse. En voici une preuve. Et oui, vous avez bien vu, ce chien est en train de manger des feuilles de thé.
Et après avoir étalé, on ramasse. Les techniques de ramassage des feuilles ne manquent jamais d'élégance. Elles donnent lieu à une chorégraphie minutieuse. C'est un art de la draperie.
Ici, dans un village de montagne. Je donne mille emballages de Christo pour un seul de ces ballets.
Et justement, le jour où nous avons vu les deux dames ramasser leur thé près du temple, nous avons visité une maison proche, au pied d'une colline.
Des bambous sèchent près de la maison : c'est qu'ici se pratique un artisanat bien particulier, bien sûr lié au thé.
La maison est vaste et ancienne, avec ces admirables pignons recourbés vers le ciel typiques de cette province de Fujian.
À l'intérieur, les bambous fendus attendent d'être refendus. On ne gardera que l'écorce verte et souple.
Le fendeur de bambous travaille pieds nus sur un carrelage en céramique. Son genou gauche lui sert à appuyer la tige de bambou, son pied droit à séparer l'écorce du bois.
Que confectionne-t-il en vérité ? Réponse quelques pas plus loin.
Un collègue courbe et galbe les écorces afin d'obtenir de grands anneaux.
Entassés sur le carrelage, les cercles de bambou attendent la suite.
On attire mon attention vers l'étage : une pile de grandes gaufrettes rondes posées sur la galerie. Ce sont des treillis en feuillard de bambou.
Aidée d'un gabarit, une femme tresse les fines bandes de feuillard en s'aidant de ses mains et de ses pieds. Les bandes vertes sont en écorce, les bandes blanches en bois. On alterne les couleurs pour réaliser le treillis.
Ce treillis, fixé à l'intérieur des cercles de bambou, forme le fond des grands plateaux sur lesquels on étale le thé en fermentation — étape consécutive au flétrissage. Ces plateaux sont entassés sur des grilles et rangés dans des chambres fraîches où le thé fermentera pendant plusieurs heures, voire quelques jours, et peu à peu exhalera de sublimes odeurs florales.
Superposés, passés de main en main, renversés, manipulés, souples et solides mais très sollicités, les plateaux ont une durée de vie. Bientôt, ils s'usent. Mais comme rien ne se perd, on trouve bien le moyen de recycler ce produit naturel.
Phénix Élégant nous fait une démonstration de hula-hoop fujianais avec le cerclage d'un plateau. Apparemment, toutes les petites filles ici connaissent le truc.
Quant aux treillis de bambou, ils iront tout droit au potager du grand-père pour blanchir les légumes.