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chez ptipois
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13 novembre 2008

Plaidoyer pour les légumes mal foutus

navets

Si une partie de mon corps éthérique est restée dans les montagnes d'Anxi (et pour longtemps j'espère), je n'en ai pas moins les deux pieds posés en France. La France reste mon terrain de jeux adoré. C'est pourquoi nous alternons ces temps-ci les reportages en Fujian et les considérations plus locales. Aujourd'hui, une excellente nouvelle, transmise par l'ami David Lebowitz sur Facebook : l'Union européenne vient de lever partiellement le tabou commercial (absurde et générateur de gaspillage) sur les fruits et légumes mal foutus. On ne balancera donc plus à la benne certains végétaux cabossés et sinueux qui n'auront pas la carrure top-model. Les petits veinards ainsi graciés sont : abricot, artichaut, asperge, aubergine, avocat, haricot, chou de Bruxelles, carotte, chou-fleur, cerise, courgette, concombre, champignon de couche, ail, noisette en coque, chou pommé, poireau, melon, oignon, petit pois, prune, céleri-branche, épinard, noix en coque, pastèque, chicorée (ma traduction hâtive ne me laisse pas deviner si c'est l'endive ou la frisée — je penche pour l'endive, parce que le calibrage des frisées, euh...).
Je me permets d'observer que l'EU triche, dans la mesure où ces légumes et fruits se prêtent pour la plupart assez mal à une régularisation physique forcenée. La tête d'ail streamlinée par Philippe Starck et le céleri-branche relooké par Ieoh-Ming Pei, les rétentifs-anaux du Système peuvent en rêver jusqu'à plus soif, ça reste difficile à mettre en œuvre. La vraie calamité, ce sont les pommes toutes parfaites et toutes insipides, les tomates idéalement sphériques et sans goût, les fraises gariguettes qui ressemblent à un défilé du IIIe Reich (j'espère que ce point Godwin va m'apporter tout plein de lecteurs). Or ces fruits ne sont pas concernés par la loi. Et c'est surtout là que le combat contre l'uniformisation et pour la biodiversité doit être mené.
Conclusion ? Il reste du travail à faire, beaucoup de travail. La grâce européenne doit être étendue à tous les fruits et légumes, et particulièrement aux pommes, aux poires, aux fraises et aux tomates, encore soumises à une absurde discipline militaire.
Et quand on aura fini, on prendra la forteresse à coups de faucille afin de dépénaliser la transmission libre des semences anciennes (je reviendrai bientôt sur ce scandale manifesté par la défaite juridique récente de l'association Kokopelli) ; on sauvera une bonne fois pour toutes la peau des fromages au lait cru ; on se penchera sérieusement sur le problème du blé français nutritionnellement pauvre, initialement destiné aux pays chauds et probablement cause d'allergies de plus en plus nombreuses ; on ne relâchera pas la vigilance sur les OGM, et bien d'autres tâches urgentes. On réaffirmera aussi que la viande c'est bon, mangez-en ; que la diversité alimentaire c'est sacré ; que les graisses animales ne sont pas mauvaises pour la santé (penchez-vous un peu sur l'état récent de la recherche nutritionnelle, particulièrement en Suède), et que le beurre frais devrait être un droit inscrit dans la Constitution. On a du pain sur la planche.

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Commentaires
P
Je ne sais pas, mais je pencherais pour le déclassement, car les réseaux de distribution alimentaire "mainstream" et bio sont a priori hermétiques l'un à l'autre. Ce qui explique qu'on trouve dans le circuit bio des végétaux de variétés et de provenances qu'on ne trouve plus depuis longtemps dans le commerce courant. En ce sens le bio est plus intéressant côté biodiversité.
M
Ces légumes graciés vont-ils se retrouver sur les tables de pauvres (genre légumes à bas prix car déclassés) ou sur les tables de riches (genre légumes chers car non conformes, donc supposés "bios") ?
L
tu as raison de parler d'un combat. Je prie pour que le bon sens permettent aux variétés anciennes d'être à nouveau légalement transmissibles à une époque où on nous tacle de manger du vert mais où il est tant réglementé... Si on pouvait aussi faire en sorte que les légumes et fruits n'aient pas des tarifs dissuasifs je serai pour ma part comblée. Peut être que ce droit à la différence de nos végétaux va (je l'espère) dans le bon sens des choses...
P
Merci pour ce billet qui rejoint ce que je pense, et qui parle avec humour des diktats qui pèsent sur notre alimentation
P
Et oui mais alors tu te rends compte, s'il n'est plus obligatoire de calibrer les endives façon Kate Moss (exemple bien choisi je trouve), il y en a qui vont dire que le monde s'arrête de tourner ! Continuons le combat pour la dérobotisation du végétal.<br /> Pommes : c'est en effet dramatique. Avant-hier je me trouvais au festival de la Pomme dans le Pilat. Tu imagines le paysage magnifique, un peu sauvage par endroits, rural et médiéval... et les pommes locales alors ? De gros veaux tous de taille égale, brillants, sans tache, sphériques, au goût saturé de sucre, pour se conformer aux directives du Grand Uniformisateur. C'est curieux de se trouver dans un paysage romantique de France profonde et d'y voir un étalage de fruits de supermarché. Ah les pommes normandes pleines de bosses et de taches, rouges, vertes, bigarrées, sucrées, acidulées, etc., que l'on trouve encore sur les marchés du pays de Caux !<br /> J'ai un grand respect pour ceux qui, dans ce contexte, persistent à proposer des variétés anciennes et locales. Il en faudrait plus, nous perdons des variétés horticoles à la vitesse grand V.
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