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chez ptipois
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23 octobre 2008

Alain Senderens : le lièvre à la royale

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Nous interrompons un instant notre programme chinois pour vous faire part d'un repas qu'il serait dommage de passer sous silence : le lièvre à la royale du restaurant Alain Senderens, place de la Madeleine, à Paris.
Lorsque je propose quelque temps à l'avance une expédition au camarade Julot, ce n'est pas toujours facile. Je ne dis pas que Julot ne soit pas un planificateur, ce garçon est bourré de qualités et n'est pas privé de celle-ci. Mais j'ai compris comment il fonctionne. Il adore téléphoner vers 11 heures du matin et dire quelque chose du genre : "X a tel ou tel plat à sa carte en ce moment. On se le fait ?" ou "J'ai donné rendez-vous à Tartempion chez Le Grand Pan à 13 heures. Tu es des nôtres ?"
Ça déstabilise pendant trois secondes, mais croyez-moi, c'est très agréable. D'autant que je suis capable de la même chose à l'occasion. C'est comme ça que, le surlendemain de mon retour de Chine, et encore montée sur chenilles à cause d'un jetlag très prononcé, je me suis retrouvée assise à une table en résine couleur sable clair, éclairée sous le plateau de jolis motifs de papillons, sous un éclairage zénithal rouge passion. En un mot : chez Senderens.

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On se prend des entrées ? Oui ? Non ? Finalement ce serait dommage de déjeuner au restaurant où l'on sert les célèbres langoustines panées aux amandes, sauce à la coriandre, et de laisser passer ça. Et puis ça permettra d'attendre le lièvre, parce que mine de rien, et malgré le jetlag qui fausse un peu les sensations, on a les crocs.
À la table à côté, un copieux kebab de businessmen anglophones dont le comportement et la conversation trahissent un brin d'anxiété. Le mot que j'entends sans discontinuer à leur table est market, market, market, market… J'en fais part à Julot, observant qu'ils sont tout de même en train de déjeuner chez Senderens, tout espoir n'est pas perdu. "Tu rigoles ? répond Julot. Ils sont ici parce qu'ils ne sont pas aux Ambassadeurs."

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Arrivée du lièvre, on s'incline et on ôte son chapeau : c'est la recette d'Antonin Carême. Je vais laisser Julot, sur son blog (s'il le veut bien), nous entretenir des mérites comparés du lièvre à la royale de Gérard Besson — mijoté, à l'ancienne, style "sénateur Couteaux" — et du lièvre à la royale de Senderens — constitué de plusieurs éléments reconnaissables : cuisse de lièvre, farce, foie gras, truffe hachée, sauce. Cette identifiabilité des éléments, d'après Julot, est une marque du style "Nouvelle Cuisine" que représente encore Senderens, par opposition au style classique plus homogène. Les éléments ne sont pas toutefois distincts au point d'engendrer des sensations contrastées, car le plat est d'une unité remarquable (Julot juge le lièvre un peu sec et surcuit, pour ma part cela ne m'a pas gênée). La farce fine, par exemple, n'est pas là pour imposer une présence mais pour assurer une transition feutrée entre la chair de lièvre et le foie gras central. Cette transition est si douce qu'on peut ne pas la remarquer et se demander un instant s'il y a bien une farce dans ce lièvre. J'ajoute que j'aimerais bien potasser la recette d'Antonin Carême et la confronter à la configuration présente, afin de discerner ce qui relève de la dissociation "Nouvelle Cuisine" et ce qui relève du classicisme. À faire à l'occasion.
Toujours est-il que j'ai là devant moi la meilleure version de cette recette que j'aie jamais dégustée, si j'excepte celle de Marie Naël, telle qu'elle la servait au restaurant Écaille et Plume dans les années 90, et qui me laisse toujours un souvenir ému.

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Le même plat, saucé, quelques secondes après son arrivée. La sauce est divine, à la fois sombre et limpide, sans l'opacité d'une trace de cacao ou d'autres gadgets — non, juste une belle sauce riche et luisante, sur un fond honnête et concentré — et une fois le plat fini, nous profitons d'un rab apporté dans un pichet pour nous le faire à la cuillère plate. Non, nous n'avons pas honte. Jamais honte.

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Je passe sur les desserts, qui sont assurément la grâce de ce restaurant. Hors la saison du lièvre à la royale, je conseillerais d'aller chez Senderens juste pour les desserts et les accords vins proposés avec chacun d'entre eux. Je note en particulier le merveilleux accord d'un fondant au chocolat et d'un porto, et surtout, surtout de la dacquoise au citron confit et du barsac château-doisy-daëne. Et là je perds un peu mes moyens, comme à chaque fois que j'évoque, ou qu'on m'évoque, ou qu'on me sert, le château-doisy-daëne. Ce vin a la propriété de me rendre complètement folle et de me transformer en ménade hurlante, perchée dans les arbres et frappant de grands tambours. De toute façon, nous aurons bientôt l'occasion de revenir sur ce vin.

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Commentaires
P
Etes-vous bien sûr du contraire ?<br /> <br /> Parce qu'on distingue bien la version "sénateur Couteaux" et la version "Carême" qui est plus proche du lièvre en cabessol, mais si vous savez quelque chose que nous ne savons pas ici, allez-y, on vous écoute...<br /> <br /> (PS : Vous savez faire l'huître à la royale ?)
H
Etes vous bien sûr que Carême ait fait une recette de "lièvre à la royale ?
C
Looks sooooo amazing!!<br /> <br /> xoxo<br /> <br /> www.chicsetera.com
G
Et dire que j'avais raté ce billet en son temps. Ah, les souvenirs... Il semble bien similaire en effet avant d'être nimbé de sauce...
M
Ah oui, il ne faut jamais avoir honte ! Il a l'air divin ce lièvre à la royale. <br /> J'apprécie la pureté de l'assiette : pas de fioritures, pas de goûts inutiles. Concentration. Le lièvre et point.<br /> Et vous avez bu quoi avec ce lièvre ?
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