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28 février 2008

OFF3, Omnivore Food Festival (1re partie)

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OFF-Omnivore, le Grand Mix.

Les 11 et 12 février derniers, soit trois jours avant que ce blog ne fête ses trois ans (à moi de me débrouiller avec lui pour justifier cet oubli d'anniversaire), j'étais à Deauville pour assister au festival OFF-Omnivore, troisième édition. Ceux qui suivent de près ou de loin les événements liés à Omnivore savent que les deux festivals précédents avaient eu pour cadre Le Havre. Je n'y étais ni en 2006 ni en 2007, donc je n'ai pas de points de comparaison, mais tout le monde s'est accordé à juger cette édition 2008 particulièrement bien organisée et au contenu du plus haut intérêt.
Cet événement sera relaté en deux posts de blog, voici le premier. C'est qu'il y a beaucoup à dire et, plus de deux semaines ayant passé, il faut coller un minimum à l'actualité. La seconde partie suivra dans les jours prochains.

pozklop

Ce furent deux jours d'attention soutenue et d'étude, passés pour ma part principalement dans l'auditorium. Je n'ai donc pas pu profiter de la vaste plage normande sous un ciel uniformément bleu, tout juste ai-je assisté à la pause-clope de quelques participants.
Oh — il y a bien eu quelques promenades dans les rues d'un Deauville assoupi hors saison, vide de son public habituel, mais j'y ai tout de même vu déambuler quelques momies résidentes ainsi que des brushings que je croyais disparus depuis au moins Dallas. Et, entre l'hôtel et le palais des Expositions, on passait devant le casino où fut tourné le chef-d'œuvre de Melville Bob le Flambeur. Instructif, mais ce n'était pas pour cela que j'étais venue, ni pour les moules-crème aux Vapeurs (occasion ratée), ni même pour admirer la faune assise au bar du Brittany (occasion pas ratée) — j'étais venue m'instruire. Espoir comblé au-delà de mes espérances. Vingt-cinq démos réalisées en direct par des chefs venus du monde entier (précisément d'Europe et du Japon) : presque toutes intéressantes, certaines soporifiques, quelques-unes bluffantes.

accueil

Afin de n'en pas perdre une miette, rendez-vous fut pris au métro Palais-Royal ("Tu sais, là où il y a cette entrée de métro hideuse en boules de Noël, il paraît que c'est de l'art ? — Ah oui je vois tout à fait.") À 6 heures du mat', dans la nuit noire, nous voilà lancés à tout berzingue sur l'autoroute de l'Ouest. Le jour n'ayant pas daigné se lever avant notre arrivée à Deauville, je n'ai pas pu admirer les vaches dans les prés, perspective qui m'avait remplie de joie plusieurs jours à l'avance. Je n'ai pas non plus assisté à la totalité des démos — j'en ai loupé deux ou trois. Je ne les ai pas toutes relevées non plus. Je ne ferai que commenter celles qui m'ont marquée.

En assistant aux démos, il m'est venu l'idée de les noter selon une méthode bien entendu parfaitement subjective. Il s'agit du coefficient de transparence : graduation de 0 à 10 répondant à la question "la démo réussit-elle à transmettre mentalement le goût des plats préparés ?" Autrement dit, le travail du chef est-il intelligible autrement que par l'expérience gustative ? Sent-on le goût des choses uniquement à partir des données visuelles et du discours descriptif ? Ce coefficient me paraît représenter, dans une large mesure, non seulement la maîtrise d'un chef mais aussi la pureté de son travail, son honnêteté envers le produit et envers le convive, la sûreté terrienne de son imagination, et son talent pour ne pas se perdre dans des détails accessoires. Ce qui ne veut pas dire qu'un coefficient faible soit associé à un mauvais chef : il n'y avait pas de mauvais, au festival OFF3. Il y en avait en revanche de plus ou moins abstraits.
En outre, des prix Ptipois, attribués par un jury trié sur le volet (moi), seront décernés çà et là, en fonction des performances.
Voilà, nous en avons fini avec les légendes de la carte, entrons dans le vif du sujet.

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Massimiliano Alajmo, restaurant Le Calandre (Rubano, près de Padoue).

Démo remarquable de maîtrise et d'inventivité. Une inventivité enracinée, qui réinterprète les cadres et les thèmes traditionnels. Une réponse lumineuse au "marronnier italien", une problématique qui fait couler beaucoup d'octets sur les forums culinaires : certains prétendent que la cuisine transalpine ne se prête pas à l'innovation. Ancrée dans le terroir, dans la régionalité, dans le produit, dans les repères ancestraux, elle ne souffrirait pas la modernisation. Massimiliano nie, et donne des preuves. Pourtant, on notera qu'il reste les deux pieds bien plantés dans ces repères ancestraux. Il se contente de raffiner sur les thèmes, de les distordre légèrement ou de les permuter avec tact et intelligence. La modernité culinaire en Italie ? Oui, assurément. Mais pas n'importe comment.

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"La mozzarella étuvée, c'est plus digérible."

Après avoir réalisé de somptueux capelli d'angeli à la crème de coquillages (pacotée, thermomixée, tripotée, bref ayant subi les derniers outrages) et aux fruits de mer crus, Massimiliano nous retourne le spaghetti-sauce tomate comme une chaussette. Pour commencer, il fait des feuilles : feuilles de mozzarella étuvée sous vide puis abaissée, feuilles de coulis de tomate déshydraté. Laminées à la machine à pâtes, les feuilles de mozzarella deviendront spaghetti et les feuilles de tomate feront office de garniture (image ci-dessus). Le coulis de tomate visible au bord de l'assiette paraît une touche d'ironie.
Coefficient de transparence : très élevé, allez, on va dire 10, parce que je n'en ai pas vu de meilleur de tout le festival. À une dizaine de mètres, sans le secours de la moindre odeur (ils ont des hottes invisibles à l'auditorium de Deauville ?), le goût puissant de chaque ingrédient — tomate, mozzarella, coquillages, huile d'olive — m'arrive en bouche. L'immédiateté, la probité sensuelle de l'Italie. Du très grand art.
Prix Ptipois de l'imagination quincaillère : Massimiliano, en trente-cinq minutes, fait subir à une innocente machine à pâtes tous les sévices raffinés que l'on puisse humainement imaginer.

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Violettes impériales servies par Cédric et Cathy Denaux,
restaurant L et Lui, Saint-Paul-Trois-Châteaux (Drôme).

Dites-le avec des fleurs. Cédric prépare son dashi dans un agitateur, à partir d'eau de Vals (bicarbonatée, idée à suivre) et de végétaux variés qui incluent du gland de chêne truffier torréfié et des aiguilles de pin. Cathy, qui s'occupe du jardin, nous énumère quelques espèces qu'elle aime cultiver : hélianthis (une espèce de topinambour), rau ram, stévia, oca du Pérou. On peut aussi observer que le bouillon ne mérite pas vraiment le nom de dashi (mais tout le monde fait du dashi à présent, bientôt signé Royco dans tous vos Franprix). On ne doute pas, cependant, que l'infusion soit délicieuse. Mais on n'arrive pas très bien à se la représenter par les sens. En tout cas, elle est fleurie, la Saint-Valentin approche, prenez-en de la graine (sans jeu de mots). Coefficient de transparence : 3, assez faible parce que cette démonstration peine à communiquer la saveur de tous ces végétaux parfois mystérieux et que les procédés ne se laissent pas aisément déchiffrer.

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Tomaz Kavcic, restaurant Pri Lojzetu, Vipava (Slovénie).

Un petit faux air de Roberto Benigni, un enthousiasme rafraîchissant, une théâtralité certaine. Tomaz parle de nourritures fondamentales, de pain, d'eau, de cuissons sur lit de sel et d'infusions d'herbes, le tout servi sur les galets du torrent qui coule près de son restaurant. Il nous gratifie aussi d'une superbe tisane de queue de poisson (faut oser). On en oublie les joues d'ourson à la polenta qu'on espérait le voir nous préparer sur scène. Et on lui pardonne cette absence de joues d'ourson, parce que Tomaz remporte...
Le prix Ptipois du plus beau t-shirt : à la fin de son son-et-lumière, Tomaz, imitant le satyre à la sortie des écoles, se déboutonne et ouvre largement sa veste de chef pour nous révéler un magnifique t-shirt où l'on lit, blanc sur noir : "Le sel est un morceau de mer qui n'a pas voulu retourner au ciel." C'est... c'est... comment dire...
Coefficient de transparence :
4, le one-man-show ayant un peu pris le dessus.

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Sébastien Demorand, le maître des cérémonies, se penche, la narine frémissante, sur les créations de Tomaz. Au cœur du nuage d'azote liquide, un galet de torrent.

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Gérald Passédat, restaurant Le Petit Nice (Marseille).
"Philippe, tu tranches."

Le beau Gérald (au-dessus duquel planent déjà trois étoiles qui à l'heure où nous mettons sous presse ne se sont pas encore tout à fait posées sur son auguste chef de chef), a choisi de nous évoquer la grande bleue au moyen de, devinez quoi, d'un plat bleu. En fait, d'un bouillon bleu à base, entre autres, d'hibiscus. Il y fait trôner une magnifique queue de homard caparaçonnée de lamelles de légumes et nous explique, coupant court à toute remarque sur l'opportunité de servir du homard breton au bord de la Méditerranée (on ne pensait même pas à lui en parler — enfin, moi, si, un peu, mais vous le savez, j'ai mauvais fond), qu'il y a bien des homards en Méditerranée, qu'ils sont plus rares que dans l'Atlantique mais tout aussi bons. Voilà certains d'entre nous (dont moi, donc) le bec cloué avant d'avoir même pensé à l'ouvrir.
Coefficient de transparence :
5. OK pour le homard, mais le bouillon bleu, vu les ingrédients (que je regrette de n'avoir pas notés), je me demande bien quel goût il peut avoir.
Prix Ptipois
incontestable dans la catégorie "meilleur sosie de Gabriel Byrne".

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Petter Nilsson, restaurant La Gazzetta, Paris.

Ce Suédois parisien commence par employer l'ingrédient idéal pour me faire craquer : des poireaux. Il les grille entiers au charbon de bois et les parsème juste avant de servir de radicelles de poireau crues. Il fallait y penser. Tout ce que j'aime : humilité du produit, simplicité de la préparation, finesse et robustesse du goût. Efficacité, concision, clarté et je dirais même amour (je m'expliquerai là-dessus plus loin). Durant les trente-cinq minutes de son intervention, il réussit à faire passer une quantité étonnante d'informations ; chaque phrase ou presque qu'il prononce de sa voix douce et basse contient un principe de cuisine et une idée lumineuse. Petter Nilsson dégage une espèce de lumière, par son ingéniosité de chef mais aussi par sa simplicité et sa gentillesse. Idées lumineuses, donc : les radicelles de poireau en font partie. Aussi : un boudin préparé en Thermomix avec trois parts de sang de porc, deux de beurre et deux de vin. Et puis, pour faire du citron confit au sel, inutile de s'embêter à le macérer un mois dans un bocal. Juste cuire en saumure pendant une heure. "Ça va plus vite." En effet. D'où vient que j'entends parler de ce procédé pour la première fois ? C'est tellement simple que personne d'autre n'y a pensé ; c'est l'œuf de Colomb. Voilà justement Petter qui saisit un citron. "De Menton ?" s'enquiert Sébastien. "Non, répond Petter. Pas de Menton. Un citron normal." Il ajoute : "C'est très bien les citrons de Menton, mais à force de se concentrer toujours sur des produits exceptionnels, on ne donne aucune chance aux produits ordinaires de s'améliorer." Pan dans les gencives. Dans la salle, j'entends le bruit de dizaines de mâchoires inférieures qui tombent, dont la mienne.
Croyez-vous que Petter va s'arrêter là ? Non. Toujours de sa voix douce, avec ce regard d'ange, le voici qui part sur son idéal dans la vie : "Je voudrais travailler pour les masses." Levant timidement les yeux vers Sébastien, il ajoute : "C'est prétentieux, non ?" Sébastien, désarmé, presque attendri : "Non, oh ! non, pas prétentieux du tout." Petter, à demi rassuré, donne la dernière touche à son assiette de légumes-racines en lamelles et d'abats d'agneau grillés.

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Coefficient de transparence : à égalité avec Alajmo, 10. Petter, en quelques mots bien choisis et à gestes précis et mesurés, a parfaitement réussi à transmettre la richesse humble des nourritures qu'il prépare — et mieux encore que cette richesse : une espèce de pureté, l'amour universel en exercice. Et c'est ainsi qu'il reçoit le prix Ptipois de la beauté d'âme.

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Y a-t-il eu un coup de gong, ou a-t-il résonné dans ma tête par excès d'imagination ? Enter Japan. On ne peut pas le louper, d'autant que le DJ passe du shamisen (ça, on l'a bel et bien entendu). Les postérieurs se recalent un peu sur les fauteuils. Il va se passer quelque chose. On le sent.

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Seiji Yamamoto, restaurant Ryugin, Tokyo.

Belle allure, belle raie au milieu, beau mec, baraqué, le geste bref, la voix assurée. Un interprète traduit ses paroles. Seiji-san n'est pas avare de ses recettes et décrit avec la plus grande précision toutes ses opérations. Ci-dessous, il nous fait admirer une arête de sardine. Puis il nous donne au marteau-piqueur sa recette de pommes de terre cuites une heure au four vapeur, puis frites dans l'huile de noix, et enfin fumées trois minutes au-dessus de coquilles de noix incandescentes. Pas d'erreur, on s'élève tout de suite très haut et on va rester à cette altitude pendant trente-cinq minutes. Attention, il y aura des trous d'air, gardez vos ceintures attachées pendant toute la durée du vol.

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Dans sa main droite, un écran de sérigraphie. Dans sa main gauche, de l'encre sérigraphique. L'encre est faite de caramel au poivre de Tasmanie. Seiji se sert beaucoup de la sérigraphie pour décorer ses assiettes de motifs élaborés. Un motif de sardine signifie : posez la sardine ici. Une sérigraphie en chocolat agrémente les desserts. Un autre motif hiéroglyphique sérigraphié sur un coin de l'assiette est en réalité un code pixelliforme destiné à être lu par une lentille de téléphone mobile, ce qui connecte immédiatement l'appareil à un site Internet. En pointant son portable sur le coin de l'assiette, on obtient le commentaire du plat. Tout en nous faisant exploser le mental de façon répétée, Seiji nous livre judicieusement quelques bases : algue kombu + eau + saké = marinière pour ouvrir les palourdes. Ou : pour un dashi plus corsé, faire partir la cuisson à froid. Composition d'un bouillon : dashi, shoyu, mirin, sel, gingembre. Petite sauce pour légumes : tremper 24 heures des coquilles Saint-Jacques chinoises séchées et des crevettes séchées. Mixer les crevettes, émietter les saint-jacques. Passer les deux dans de l'huile de sésame crue à 180 °C. Égoutter, ajouter jus de citron vert, gingembre, katsuobushi (copeaux de bonite séchée) et shoyu. Une laque d'anchois maintenant : purée d'anchois, vin de prune (saké de prune salée), mirin, shoyu doux, le tout mixé. Cette sauce est ensuite badigeonnée sur la peau d'un filet de sardine, puis grillée au chalumeau. L'arête de sardine admirée plus haut, elle, sera passée à grande friture jusqu'à être dorée et croustillante. Elle viendra décorer un tartare de sardine (filet de sardine haché, ciboulette japonaise ciselée, wasabi frais râpé sur peau de requin, gingembre) lui-même posé sur une assiette sérigraphiée de sardines.

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C'est quoi ce truc ? C'est la carte de Ryugin. Et c'est quoi, donc, ce qu'on voit dessus ? Awabi signifie ormeau, silk screen on a vu ce que c'est, Maguro Truffe c'est littéralement une "truffe de thon rouge" (whatever that means), Ringoame et ce qu'il y a de part et d'autre désignent un étonnant dessert aux consistances impalpables, une espèce de pomme d'amour molécularisée. Fugu, c'est le diodon qui tue quand on le prépare mal, et, vous voyez, il y en a trois volumes, ce qui multiplierait trois fois les chances de tomber raide les baguettes à la main, si on n'avait pas affaire à des pros. L'Extintor semble, dans ces conditions, s'expliquer de lui-même. Oshibori est la serviette humide apportée en fin de repas, mais je ne serais pas étonnée que Seiji réserve là aussi, à ses convives, un coup de sa patte.
J'en ai omis un : Château RyuGin. C'est parce que je garde le meilleur pour la fin. Seiji commence par réaliser un consommé à base de betterave, de coquillages, de dashi et de shoyu thermomixés. Il verse ce consommé dans une bouteille à bordeaux. Il prend un salsifi et l'égalise, à l'aide d'un emporte-pièce, en un cylindre parfait. Il le taille à la longueur exacte d'un bouchon de bordeaux. Vous commencez à comprendre ? Ensuite il le pyrograve comme un bouchon de liège ("Mis en bouteille au château Ruygin", évidemment) et le fait cuire à la vapeur. Il pousse le vice jusqu'à en tremper une extrémité dans la poudre de betterave lyophilisée. La bouteille bouchée, il lui met une jolie petite cape en étain, y colle une étiquette imprimée par ses soins (on a déjà eu l'occasion de constater son talent pour la chose imprimée), et la bouteille est portée à table en panier métallique. Une fois château-ryugin débouché, on est prié de manger le bouchon et le contenu de la bouteille est versé sur un petit monticule de langues d'oursin (uni), de feuilles de sanshô frais et de fleurs.

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Un simple (?) plat de légumes variés, servi sur un fixé sous verre : Seiji, avant d'y déposer les légumes, colle sous la plaque une photographie en couleurs des légumes qu'il va y présenter. Il faut le dire : ça a quelque chose d'absurde et de sublime. C'est à la fois intelligent et bête, tellement bête que ça en devient génial. Et cela résume mon impression de toute la prestation de Seiji Yamamoto : sans s'écarter de façon significative des bases de la cuisine japonaise, il se livre à un chamboulement des repères — mêlant techniques culinaires sophistiquées, sérigraphie d'art, canular en bouteille — qui équivaut en fait à un dépassement de la cuisine moléculaire. Quand je dis "dépassement", en fait, j'ai en tête quelque chose de plus cru : il se paie une grosse rigolade aux dépens de ladite cuisine moléculaire. Entre déconnade pataphysique et exercice virtuose, cette cuisine oscille en permanence sur le fil du rasoir. Du grand, du beau cirque, du kabuki culinaire : on a frôlé la standing ovation.
Coefficient de transparence : hors classement. Impossible de se prononcer sur ce point quand on a le mental explosé aux quatre coins de l'auditorium façon puzzle. Ce qui n'empêche pas les sardines et les légumes sur plaque de verre d'être très appétissants.

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Là, on va redevenir plus sage, parce qu'on assiste à la démo de Jean-François Piège (restaurant Les Ambassadeurs, hôtel de Crillon, Paris).
Jean-François, dont le discours est très détaillé, structuré, argumenté (et un brin autoglorificateur), décide de faire la démonstration de son plateau-télé, l'assiette d'amuse-bouche des Ambassadeurs. Cas rare parmi les chefs se produisant à ce festival — et c'est tout à son honneur —, il envoie ses préparations dans la salle afin de les faire goûter au public. Toutefois je ne suis pas sûre que ç'ait été une bonne idée en l'occurrence. Coefficient de transparence : zéro, décision cette fois motivée par le réel décalage entre le discours et l'aspect d'une part, et la saveur réelle d'autre part.

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Ci-dessus, vous pouvez voir Sébastien Demorand s'efforçant d'administrer quelques éléments du plateau-télé à un public enchanté.

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Pour finir cette première journée, la prestation de Gélinaz, groupe de chefs chargés de travailler sur un thème, ici un vin de Toscane produisant des sensations décrites comme "lécher le poil d'un âne en sueur". Chacun s'y est attelé selon son style propre. Fulvio Pierangelini, par exemple, a décidé "dé servir cé qu'il mange l'âne", donc assiette de salades diverses et raviolis d'herbes ("Vous êtes sûr qu'il aime les raviolis, l'âne ? — Si, si, qu'il les aime !). Ci-dessus, Inaki Aizpitarte explique son chabrot : il fait prendre, dans une assiette inclinée, un consommé collé à l'agar-agar. La gelée se trouve donc en plan incliné lorsque l'assiette est remise d'aplomb, si vous me suivez bien. Pour servir, il verse un vin chaud dans cette assiette, et le vin fait fondre le consommé gélifié petit à petit, à mesure que la cuillère le fait diminuer. Simple et ingénieux, de l'Inaki tout craché. Coefficient de transparence pour le groupe entier : joker.

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Le dîner du Grand Mix clôt cette première journée. Sébastien a bien mérité son petit arbois. (À suivre.)

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Commentaires
M
Merci beaucoup pour ce compte rendu détaillé et passionnant! J'aime beaucoup le portrait que tu dresses de Peter Nilsson, je ne le connais pas personnellement, mais je trouve que sa cuisine fait exactement transparaitre la beauté de son âme!
P
C'est probablement le plus beau compliment qu'on m'ait jamais fait. Merci m'sieur !
N
Tu es sans conteste la Lester Bangs de la bouffe.
P
La prochaine fois que tu viens à Paris, je t'emmène à La Gazzetta, et on sera deux veinardes !
L
A travers les photos et l'écrit, je savoure...<br /> <br /> Merci Ptipois, pour la ballade gustative et moizaussi, j'adore les poireaux et je vais tenter l'idée du très beau Petter Nilsson. <br /> <br /> Veinarde !
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