750 grammes
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chez ptipois
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3 juin 2007

Grrrrrrr, du veau tigré !

villacorse

Juste avant la première cuillerée : soupe glacée de tomate, croûtons, quenelle de brocciu
— ou comment un service brouillon peut bousiller une jolie assiette en trois secondes.

Pas la faute du chef : la soupe est délicieuse.

À quoi voit-on qu'on déjeune dans le seizième, entre la place Victor-Hugo et la Porte Maillot ? C'est facile : on est environné d'une faune inimitable. Costards venus du palais des Congrès, types business sur le modèle Catherine Nay, Patrick Devedjian ou Valérie Pécresse, nappies (authentique terme désignant les NAPs juvéniles), Rolex à bracelet lâche dont les heureux propriétaires manquent de vous renverser de votre chaise avec leur derrière quand ils s'assoient, clips d'oreille jetant des feux soudains, bref la France qui a gagné. Le décor opulent et confortable — entendez mi-club, mi-bordel de luxe — est aussi furieusement signé local. C'est bien ça, vous ne pourriez pas vous trouver ailleurs, sauf peut-être à Deauville, à Saint-Tropez, ou encore sur un yacht voguant dans les eaux maltaises. Par conséquent, une fois que vous vous êtes fait une idée raisonnable du monde qui vous entoure, vous vous attendez à mal manger. Et quand vous voyez la serveuse ennuyée, mi-mannequin, mi-gothique, jeter un coup d'œil à sa montre d'un air las, vous n'en doutez plus. Et pourtant.

Les petits toasts à la tapenade qui vous accueillent sont, eh bien justement ça, des toasts à la tapenade. Sur chaque table, un petit bidon d'huile d'olive Terra Rossa. Versée sur un morceau de pain, elle est très verte, légèrement âcre, tout à fait conforme au goût moderne et novice qui ne veut que du gazon, et par conséquent impersonnelle. Elle pourrait venir de n'importe où (sauf de lieux où l'on persiste à presser des olives mûres), mais je ne vais pas commencer à me plaindre parce qu'il n'y a aucune raison pour cela. En effet mon entrée (une soupe de tomate glacée aux croûtons, quenelle de brocciu aux herbes) est étonnamment bonne, bon goût de tomate, légèrement sucrée et vinaigrée juste ce qu'il faut, le contraste crémeux du brocciu sur tout ça, le plaisiromètre remonte instantanément à la verticale. Bon, d'accord, la serveuse ennuyée, chargée de verser le petit pichet de soupe sur l'assiette en attente, ne regarde même pas celle-ci et jette sa purée comme on bombarde une ville, les yeux fixés sur l'horizon. Horreur, attaque en piqué sur la quenelle, quenelle centrale absolument noyée, et il y en a même sur le bord de l'assiette. Mais c'est pas grave. J'ai vite compris qu'il y a réellement quelqu'un en cuisine, même si l'équipe de salle a son quota de brain-deads.

Mon plat — stufatu de veau tigré, pommes grenaille, olives vertes — est admirable. Il est rare, dans le XVIe, hors des bistrots (il y a d'excellents bistrots dans le XVIe mais cela est une autre histoire), de se voir servir un bon plat en sauce, si tant est qu'on peut s'en voir servir un. Les pommes de terre et les olives : très bien, mais la star, c'est le veau et la sauce. La viande est, dit le menu, du "veau tigré de Jacques Abbatucci". C'est quoi du veau tigré ? C'est une bête qu'on chasse à dos d'éléphant ? Mais non, c'est une race bovine locale marquée de rayures façon tigre. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'info sur le Net à propos de cet animal fabuleux (fabuleux aussi par le goût), pas plus que je n'ai réussi à en trouver sur l'huile d'olive Terra Rossa (le site est d'un laconisme tout à fait corse), mais je peux dire que le directeur général du restaurant est très fier du premier. Il semble que cette viande soit d'accès très difficile, des chefs trois-étoilés en veulent, Bocuse en veut, mais en vain. Il faut se rendre à l'évidence : pour certaines choses, il faut être corse, ou alors auteur sur Gastroville. D'autant qu'en Corse, élever des animaux est une chose, les mener à la boucherie en est une autre. Il y a longtemps, lors d'un de mes premiers séjours en Corse, mon hôtesse m'emmena à la petite boucherie de Murato. "Un kilo de veau, s'il vous plaît — Ah, non, désolé, dit le boucher. On n'a pas réussi à attraper le veau. Revenez demain, on va réessayer ce soir."

Les desserts sont bons — le pâtissier a tenu quelques poches à douille au Crillon —, organisés autour de la panoplie corse bien connue : châtaignes, brocciu, agrumes et surtout cédrat, et quelques olives noires hachées dans la pâte à financier. Jusqu'à présent, c'est l'emploi d'olives en cuisine salée le plus réussi que j'aie trouvé.

Alors, même si notre serveuse noyeuse de brocciu a regardé sa montre une seconde fois, même si le décor de velours et de pourpre ne donne pas spécialement envie de prendre racine, les volumes intérieurs sont très beaux, le menu de midi à 25 euros est bien conçu, le patron est tout gentil et sa passion pour le lieu fait plaisir à voir ; et la cuisine est étonnamment bonne pour "ce genre d'endroit". En s'asseyant, on peut se sentir intimidé et se promettre qu'on ne reviendra pas, mais il ne faut pas dire fontaine, et dès le premier plat les résolutions vacillent sérieusement.

La Villa Corse Rive Gauche, 141, avenue de Malakoff, XVIe. Métro Porte-Maillot or Victor-Hugo. Tél. 01 40 67 18 44. Vaut le détour.

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Commentaires
S
((((( Hello )))))<br /> <br /> Je tenais à vous remercier de m'avoir si joliment présenté ce restaurant sur Paris. Etant particulierement fan de la cuisine corse je ne pouvais que "gourmandiser" devant votre présentation. <br /> <br /> Je suis sur Trivago.fr, une communauté du voyage et je viens de creer l'attraction à l'instant, car il mérite d'être connu par tous. Vous etes en quelque sorte le facteur déclencheur de cet ajout.<br /> <br /> http://www.trivago.fr/paris-36103/hotel/-523591 .<br /> <br /> Désormais chacun pourra donner son avis sur ce lieu cosy et raffiné. toutefois j'aimerais vous proposer une petite correction il s'agit en realiser pour vous de La Villa Corse Rive Droite et non de Rive gauche. Mais rien n'enleve le charme de votre découverte. <br /> <br /> Merci beaucoup, très bon week end.<br /> Bonne continuation +++
C
Je connaissais l'adresse dans le 15ème, avec un vrai charme, décor de bibliothèque, bar de paquebot, serveurs de noir vêtus et nourritures de circonstance très joliment finies. Et puis la Villa Corse au mois de juin, c'est un peu la promesse des vacances...
A
C'est donc pour ca que l'on ne te voyait (lisait) plus... Pauvre ptipois !!! En tous cas, contente de te revoir, avec toujours d'aussi belles photos et articles, tres fins, tres spirituels... Yu restes notre... Hum,coqueluche !!! Non, c'est de mauvais gout,je suis désolée !!!<br /> Bone rétablissement ! Biz
D
Oui, Marie, plaisir partagé ! :)<br /> Je note l'adresse Ptipois.
P
Merci !
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