Charenton
Hier, il pleuvait. J'aime bien le temps pluvieux parce qu'il sature les couleurs.
Je
devais me rendre à Charenton, non pas pour ce que vous croyez, du moins
pas encore, mais pour prêter mon concours à une séance de photos pour
un magazine de télé. Malgré le temps grisâtre, ce fut un après-midi
très heureux. Journaliste charmante, photographe tout aussi charmant,
une ambiance joyeuse, relax et courtoise ; efficacité, concision,
adéquation des moyens et des fins, simplicité. Si je pouvais travailler
toujours dans ces conditions, ce serait le paradis. Je fréquente trop
d'éditeurs. Quand j'y pense, l'origine de mes problèmes doit se trouver
en grande partie là.
Je déballe mon barda en vue d'une soupe aux cacahuètes. Les
barquettes contiennent de la pâte de cacahuète achetée samedi dernier à
Château-Rouge dans un magasin congolais. Le patron, me voyant préférer
l'écrasé maison aux boîtes de Dakatine, me dit : "Vous avez un mari
congolais. — Non, non. — Vous êtes sûre ? — Je suis sûre. — Vous aimez
cuisiner africain ? — Oui. — C'est vrai ? — C'est vrai." Il ouvre des
yeux immenses. Je ne cherche pas trop à analyser les raisons de son
étonnement parce que j'ai d'autres courses à faire ; d'ailleurs je les
devine un peu.
Le petit bocal contient du vinaigre au piment
habanero. Quant aux six piments frais, ne vous inquiétez pas, je ne
vais pas m'en servir pour la soupe. Ils participeront au décor.
Cette
soupe de cacahuètes africaine est archi-simple et se conclut en une
vingtaine de minutes. Ça commence par une petite mirepoix d'ail,
d'oignon et de poivron vert (et un chouïa de piment au vinaigre)
revenus dans l'huile, puis on mouille avec du bouillon, on fait cuire
quelques minutes et on ajoute la pâte de cacahuète délayée petit à
petit avec le bouillon chaud. On rectifie l'assaisonnement, un peu de
vinaigre ou de citron est conseillé.
La journaliste est une généreuse, une chaleureuse. Elle me gâte. La preuve, cette tasse de café et cette minuscule tablette de chocolat (excellent). Quoi de plus agréable pendant le travail ?
Retour
par le jardin des Plantes tout dégoulinant de la première pluie fraîche
de l'automne. Les ipomées, fragiles, commencent à ployer sous le poids
des gouttes. Le jardin n'est jamais aussi beau qu'en cette saison,
quand il se hérisse de plantes bizarres et exubérantes, dernier sursaut
de ce que ce connard de Houellebecq appelle "la grande barbarie
naturelle" avant que la végétation ne replonge dans l'assoupissement progressif de la
saison froide, puis dans le sommeil hivernal.
Il y a de grandes feuilles tropicales, des fleurs à la physionomie vénéneuse et de curieux légumes fluorescents.
Un étrange blob noir cristallisé s'apprête à attaquer la galerie de minéralogie. Moi, je serais vous, je m'inquiéterais.