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chez ptipois
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10 août 2005

Delicabar, bonne surprise

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D'après ce que j'en savais sommairement, et d'après ce que j'en avais lu un peu partout, notamment sur e-gullet, tous mes voyants rouges clignotaient. J'avoue mes a-priori pour mieux expliquer ensuite comment je m'en débarrasse. Les ingrédients de la recette pour un persiflage de Ptipois en bonne et due forme paraissaient rassemblés : pâtisserie design à la Pierre Hermé, cadre néo-seventies finlandais avec couleurs de bonbons acidulés, insistance très mode sur le sucré et le chocolat (soooo foodie, soooo chic), et surtout situation en plein cœur du (Pas) Bon Marché, ce qui signifie racolage manifeste des grandes bourgeoises qui, avec ou sans yorkshire sous le bras, se ruent sur le chocolat noir pour garder leur taux de théobromine au-dessus de la ligne de flottaison, pendant que Monsieur se tape la enième secrétaire ou, comme le chantait Annie Girardot, "part aux Seychelles pour son boulot". Vous vous demandez déjà ce que font de telles horreurs sur le blog d'une personne qui se voudrait un tant soit peu foodie. Un crime de lèse-chocolat, pas moins ! C'est que j'ai vis-à-vis de la hype alimentaire une attitude très ambivalente : si j'aime les bonnes choses, le raffinement, la nouveauté, voire l'innovation, si je saute de joie devant les chercheurs comme Adria, j'ai vraiment un problème avec la préciosité et le snobisme. Et parfois, devant certaines manifestations d'extase pour celui qui a inventé le sorbet pâté Hénaff-fruit de la passion ou la déclinaison tout-yuzu, je me sens mal à l'aise. Je repense aux Précieuses ridicules, à la décadence de Rome, etc. Les meilleures choses sont généralement les plus simples et les moins chères. Et surtout, la majeure partie du monde bouffe peu, mal ou pas du tout, ce qui ne va pas en s'arrangeant. Voilà à peu près les noires pensées que je ruminais sur l'escalator du Bon Marché. J'avais tout de même décidé d'essayer, parce qu'il faut se faire une idée honnête, n'est-ce pas ? L'important, la seule chose qui compte, c'est le goût. Le taux le plus outrageant de hype culinaire, la manifestation la plus éhontée de snobisme gustatif et d'élitisme occidentalocentriste méritent un pardon total et instantané si le résultat est bon à manger. Mais dans le cas contraire, pas de quartier.

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Je fais taire mes préjugés et je me laisse installer à une table pleine de couleurs. Les pâtisseries que j'ai vues dans la vitrine en arrivant ont tout de même une très bonne tête. Je note d'ailleurs des petits gâteaux à base de mousse au chocolat noir, lait ou blanc qu'on appelle "Truc chocolat". Même si le nom rappelle un peu trop les niaiseries à la Frédérick Hermé, les gâteaux sont si jolis qu'on suspend volontiers son jugement.
La carte ne laisse pas de doute : on est dans le concept jusqu'au bout des cheveux. La gravitation s'exerce autour du chocolat, du salé dans le sucré, du sucré dans le salé, des thés, des fruits et j'ai oublié de quel autre élément. Il y a relativement peu de salé et beaucoup de chocolat ; le sucré n'a pas l'air excessivement sucré, c'est bon signe. Loin de partir dans tous les sens, l'ensemble est maîtrisé, structuré, étudié. Tant mieux. Du moment qu'on est dans le concept, autant y mettre le paquet. Maintenant, il reste à voir ce que ça donne à l'épreuve des papilles.
Premier plat : frapper fort et au cœur. Choisir un mets représentatif du style général. Quoi de mieux qu'un foie gras au chocolat, fèves de cacao, fleur de sel ? Zyva.

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Arrivent donc ces deux tranches de terrine de foie gras en couches intercalées avec du chocolat, saupoudrage de fèves de cacao concassées, quelques grains de fleur de sel. La salade de mâche me semble superflue, il fallait peut-être une salade, je ne crois pas qu'il fallait celle-ci. Le foie gras est d'excellente qualité et le chocolat... Eh bien, l'association foie gras-chocolat peut sembler audacieuse de prime abord. Il n'en est rien. En réalité c'est l'association la plus naturelle du monde, si naturelle qu'elle en perd toute hardiesse. Les deux saveurs se ressemblent tellement, fusionnent avec tant de passion, qu'on ne distingue plus l'une de l'autre. C'est plus qu'une bonne idée, c'est une bonne surprise. La touche de génie, c'est la fève de cacao concassée. Comme si le créateur du plat avait eu conscience de l'harmonie un peu trop parfaite de l'association des deux ingrédients, il a ajouté ce détail pour empêcher le plat de s'endormir. Il n'a pas fait comme le premier chef branché venu, non : il n'a pas joué la facilité, l'acidité. Il en a rajouté côté cacao, avec ce croquant amer et aromatique qui tient l'assiette à bout de bras et donne sa cohérence à l'ensemble. Le pain — probablement du Kayser — est tout chaud, grillé sur une seule face, et là je ne peux que dire : chapeau. C'est exactement ce qu'il faut faire. L'œuf de Christophe Colomb. Je salue avec enthousiasme cette merveilleuse attention au détail. N'importe qui peut vous servir un toast du meilleur pain grillé sur les deux faces, mais il faut un sacré talent pour vous le griller sur une seule face, afin de vous donner la juste proportion de croquant et de moelleux. Bravo.

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Gros plan sur mon drink. J'ai choisi un thé vert glacé maison, c'est pas mal mais c'est trop parfumé (thé vert aux parfums de fruits), trop puissamment infusé et surtout ça ne va pas du tout avec ce que j'ai commandé. Mais ça, c'est entièrement ma faute. En tout cas le liquide est joli (la photo n'en transcrit pas les reflets verts) et la paille est rose. C'est déjà ça.

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Voici le Truc chocolat, lait, gelée de mangue, crème au thé darjeeling. Sur un socle de pâte sucrée croustillante, un petit savarin de mousse au chocolat au lait peu sucrée, délicieuse. La gelée de mangue est également peu sucrée et relève bien le tout. La crème au thé darjeeling disparaît un peu dans l'ensemble.
Conclusion : un quasi-sans-faute, un soin apporté à chaque détail, des produits de grande qualité, beaucoup d'intelligence mais pas trop, des associations de saveurs qui fonctionnent vraiment, et des prix élevés certes mais pas scandaleux. Quelques petites touches à rectifier (la salade ; et moins fort, le thé vert glacé, s'il vous plaît) et on sera prêts à affronter tous les yorkshires de Paris.

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